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Quitter Dakar, Sophie-Anne Delhomme (par Théo Ananissoh)

Ecrit par Theo Ananissoh 08.03.11 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Le Rouergue

Quitter Dakar. 2010. 13,50 €

Ecrivain(s): Sophie-Anne Delhomme Edition: Le Rouergue

Quitter Dakar, Sophie-Anne Delhomme (par Théo Ananissoh)

 

Quitter Dakar, c’est en fait y revenir. Quitter, revenir, ces mots qui s’imposent ainsi d’entrée de jeu indiquent ce qui caractérise le roman de Sophie-Anne Delhomme : le mouvement. De bout en bout, c’est un va-et-vient permanent ; va-et-vient entre la France et le Sénégal, mais aussi allers et retours entre le présent et le passé, entre la réalité et l’imaginaire, entre un je et un il qui, alternativement, se relaient pour raconter. Roman tout en déplacements donc, sans agitation toutefois, mais en quête ; de quoi ? De la mère, de soi, de la vie qui fut la leur, au garçon et à la mère, dans ce pays d’Afrique.
Manuela, c’est le prénom de la mère. Elle est décédée en 1985. Littéralement – le cliché force la main pour ainsi dire –, elle a l’Afrique ou, si l’on préfère, le Sénégal dans la peau. Elle y vit avec son fils dans la maison du Point E et possède une boutique qui va faire faillite. C’est un personnage complexe, comme du reste tous les autres de ce beau roman. On hésite à la définir d’une expression qui pourtant, là aussi, semble s’imposer : mère irresponsable. Les nuits, souvent, le jeune garçon doit se débrouiller seul pour trouver le sommeil dans la grande maison, à peine veillé par une bonne pendant que la mère rejoint un amant dans un night-club de la capitale sénégalaise.

L’adulte qui revient ainsi sur les lieux de l’enfance se souvient calmement de chaque épisode. Par exemple de cette nuit où il sort de son lit, et finit par s’endormir dans le placard. Personne ne le cherche. Il sera réveillé par les bruits que font la mère et son amant en rentrant.
« L’homme l’avait reprise par la taille et l’avait entraînée en lui caressant les fesses. »
Le roman de Sophie-Anne Delhomme foisonne de ces détails d’une enfance bien particulière du fait de la personnalité d’une mère dont la passion pour cette part d’Afrique trouble et fascine. Mère "fantasque" et "solaire" comme la définit la quatrième de couverture ? Sans doute. Cette mère qui, pourtant, lorsque son garçon se cache de tous pendant des heures, crie et dit qu’elle « se tuerait si elle devait encore passer une nuit sans son fils » !
Rentrée en France en juin 1973 avec son fils, la mère, chaque année en avril, retournera seule au Sénégal passer une « quinzaine ». Retrouver Dakar lui fait un bien littéral. « Loin de Dakar, elle se fanait comme une fleur. Chaque année, elle économisait pour y retourner, elle en revenait vivante et mourait peu à peu jusqu’à l’année suivante. »
Des années après le décès de cette mère, le garçon, devenu adulte, déambule dans Dakar et ses environs, revisite ces lieux qui revitalisaient tant sa mère. Il retrouve les hommes et les femmes qui entouraient autrefois la mère. Rencontres presque toujours décevantes, troublantes en tous les cas, que le narrateur appréhende à juste titre, craignant sans cesse que – belle expression d’un sentiment ! – « quelque chose ne (lui) explose à la figure. » Quitter Dakar est un surprenant récit tout en sensibilité ; rien n’y est affirmatif ou vindicatif, même lorsque les personnages ou les souvenirs sont rudes, extrêmement rudes. C’est un récit de soi, de ses sentiments, forts, intenses, douloureux, fait avec une économie dans le style, une pertinence des mots qui donnent à ce premier roman un admirable cachet de réussite.

 

Théo Ananissoh

 


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A propos de l'écrivain

Sophie-Anne Delhomme

 

Directrice artistique au Courrier International, Sophie-Anne Delhomme publie plusieurs nouvelles avant de signer, en 2010, son premier roman 'Quitter Dakar', nourri de sa propre enfance au Sénégal. Sa participation à l'expérience de L' Autre Journal, mensuel fondé en 1984 par Michel Butel, lui permet un temps de concilier son goût pour l'image et le texte, le concept même de la publication étant de mêler littérature et arts graphiques. Elle rejoint ainsi les illustres contributeurs qui l'y ont précédée : Marguerite Duras, Hervé Guibert, Gilles Deleuze et Michel Foucault.

 

(Source "evenement.fr")

 


A propos du rédacteur

Theo Ananissoh

 

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Domaines de prédilection : Afrique, romans anglophones (de la diaspora).
Genre : Romans
Maisons d'édition les plus fréquentes : Groupe Gallimard, Elyzad (Tunisie), éd. Sabine Wespieser

Théo Ananissoh est un écrivain togolais, né en Centrafrique en 1962, où il a vécu jusqu'à l'âge de 12 ans.

Il a suivi des études de lettres modernes et de littérature comparée à l’université de Paris 3 – Sorbonne nouvelle. Il a enseigné en France et en Allemagne. Il vit en Allemagne depuis 1994 et a publié trois romans chez Gallimard dans la collection Continents noirs.

Il a aussi écrit un récit à l'occasion d'une résidence d'écriture en Tunisie, publié dans un ouvrage collectif : "1 moins un", in Vingt ans pour plus tard, Tunis, Ed. Elyzad, 2009.

 

Lisahoé, roman, 2005 (ISBN 978-2070771646)

Un reptile par habitant, roman, 2007 (ISBN 978-2070782949)

Ténèbres à midi, roman, 2010 (ISBN 978-2070127757)

L'invitation, roman, Éditions Elyzad, Tunis 2013

1 moins un, récit, (dans Vingt ans pour plus tard), 2009