Que moi, Rémi Checchetto
Que moi, 2013, 34 pages, 10 €
Ecrivain(s): Rémi Checchetto Edition: Espaces 34
« L’homme d’entre les noirs cyprès »
Rémi Checchetto rapporte qu’il a écrit Que moi pour le metteur en scène et comédien Jean-Marc Bourg ou plutôt qu’ils ont donné naissance ensemble au texte, jusqu’à sa mise en voix et en lumière dans une coproduction en 2012, du théâtre de la Mauvaise tête de Marjevols. Comme le veut la réalisation éditoriale d’Espaces 34, la petite photo de la première de couverture constitue une ouverture, au sens lyrique du terme, de l’œuvre à venir. Ici il s’agit justement d’une photo de Jean-Marc Bourg : un arbre dépouillé dans un décor minéral se fait métaphore de celui qui va prendre la parole, qui « s’effeuille » pour se reconnaître : le moi, le « que moi » mis à nu. Le premier titre du texte était Moi ; le titre définitif s’affirme de façon radicale. L’éviction de tout le reste, de tous les autres, que la forme restrictive impose avec une sorte de violence syntaxique, est instaurée.
Ce dont il sera question, c’est l’atteinte inévitable du soi que dit l’épigraphe inaugurale du poète Antoine Emaz. C’est l’homme de la mort qui vient à lui (le personnage unique de que moi) dans le tout premier paragraphe du texte p.9) et vers lequel il reviendra à l’excipit (p.34). L’homme d’entre les noirs cyprès.
Il va s’interroger, s’inquiéter. D’ailleurs, le seul signe de ponctuation forte, présent dans l’ensemble du texte, est le point d’interrogation :
que moi ?
moi
qui moi ?
quoi moi ?
où ?
où qui quoi moi que moi ? (p.9)
ou plus loin encore :
où suis-je moi ?
qui suis-je moi ?
Le monologue ou le soliloque plutôt est forme et matière de l’œuvre qui dit d’elle-même : « entrer en moi et être moi que moi » (p.16). Le poème et ses diverses formes strophiques rappelant l’ode entrent en résonnance avec la parole du seul. Il célèbre à son tour avec le ô vocatif, le moi. La variété des combinaisons strophiques régulières est là pour redire l’ardue entreprise :
Distique p. 21
Quintil pp. 14 et 29
Sizain pp. 16, 20, 31, 32, 33
Septain pp. 10, 19, 33
Neuvain p. 12 (souvenir de François Villon)
La langue bafouille, bégaie, répète (n’importe quoi, n’importe quoi (p.19), cherche le mot juste en même temps que la quête de soi se fait :
J’échappe à ma langue, que je ne peux me saisir dans mes dires, qu’il me faut un lasso pour me choper… (p19). A la recherche du moi retrouvé.
Si le moi est affaire de mots, il est aussi et davantage sans doute principe vital. Il est corps. Il s’agit d’accoucher de soi-même, de se disséquer comme lors d’une leçon d’anatomie : ma tête, mes mains, mes épaules, six litres de sang, un seul estomac, os de mon crâne, cheveux, avant-bras, les poumons, le nez, les oreilles (p.14.). Celui qui parle de lui peut-il être exhaustif ? La « trouvaille » poétique à son tour prolonge, élargit la description médicale. Ainsi le crâne devient-il « boîte ciboulotienne » ou « os têtiens ». De surcroît, le corps est sensations du monde :
Qu’entends-je ?
Qu’ouïs-je (p.17)
En outre, le texte produit sa propre « voix ». Il fait entendre par le jeu sonore (allitérations et assonances) son élan charnel :
Voix, vas-y voix d’moi viens, viens toi voix d’moi, viens…
Le moi en acte en quelque sorte s’affirme au fil d’un processus, d’un commencement et d’un but atteint : « Je suis arrivé à être » (p.33), à la manière d’une épopée chevaleresque, celle conduite par le cavalier aux « chevaux aux yeux ». La lutte de toute manière est sans merci : masques ennemis que le moi doit mettre à bas, les visions dangereuses à combattre.
Dans son texte, R. Checchetto parle de la tentative ontologique d’aller au bout de nous-même pour atteindre « le noyau dur » de notre être. La langue poétique et théâtrale lui sert de viatique.
Marie du Crest
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