Projet Grèce, Lisiane Durand (par Marie du Crest)
Projet Grèce, Lisiane Durand, Editions espaces 34, septembre 2019, 90 pages, 15 €
J’aime les Grecs. J’aime La Grèce. Son continent et ses archipels. La Grèce est notre mère patrie, celle du théâtre, de la philosophie et de la poésie européenne. La Grèce antique et contemporaine.
Jacques Lacarrière en personne avait découvert la terre grecque d’abord en étudiant « classique » mais il y revint toujours en amoureux des vivants.
Je passai l’été 2015 entre la Grèce et la Turquie, témoin des itinéraires clandestins et dangereux des familles syriennes chassées de chez elles par la guerre, tentant de gagner les premières îles grecques, portes de l’Europe. Lisiane Durand, jeune diplômée de l’Ensatt, ouvre son texte Projet Grèce justement sur la période comprise entre le 15 juin et le 15 juillet 2015. La Grèce connaît alors une crise financière, économique et politique sans précédent. Le pays est montré du doigt par les instances européennes et mondiales comme le FMI. L’Allemagne devient la bête noire des Grecs : le pays puissant qui veut l’abattre.
Les forces politiques traditionnelles, religieuses qu’étaient le Pasok, la Nouvelle Démocratie et l’Eglise orthodoxe, sont mis en accusation, responsables du chaos et de la situation sociale catastrophique qui s’abattent sur les plus faibles. Syriza et Aube Dorée gagnent en popularité. Assurément il y a là matière à faire littérature et théâtre. Mais sans doute pas n’importe comment. L’auteur grec, Chrístos Chryssópoulos (Une lampe entre les dents, Actes Sud) avait su en son temps évoquer entre photo et texte à travers ses déambulations dans Athènes la misère, les « ruines modernes » de la société grecque.
Le texte de la jeune auteure française me laisse dans une perplexité profonde. L’éditrice d’ailleurs propose de considérer le livre à la fois comme un carnet de voyage et un poème dramatique. Peut-on concilier ces deux genres littéraires ? Le texte est un patchwork un peu épuisant à la lecture : discours du jeune leader Alexis Tsipras, soit en traduction française soit en grec moderne ; reconstitution de mails ; textes de vidéo ; messages enregistrés sur une boîte vocale ou ici et là des répliques de théâtre entre les deux jeunes femmes que sont Zoé (la vie en grec et avatar de l’auteur), Anouchka, le père et l’ami de Zoé. L’auteure va jusqu’à diviser en deux parties certaines pages, avec deux blocs textuels à la fois indépendants et en écho. Plusieurs pages sont du texte intégralement barré ! Lorsque le personnage de Zoé décide d’apprendre le grec, l’auteure juge utile de noter l’alphabet grec et son correspondant latin. Le résultat du référendum est donné en grec : 0XI. Sont-ce là des effets de réel, un certain pédantisme affichant le parti pris de la grécité mais c’est sans compter sur des passages en anglais ? Il est aussi question de personnalités très diverses comme S. Tesson, C. Marker, H. Keitel, F. Lordon. Il est bien difficile d’entrevoir une quelconque réalisation scénique capable de prendre en compte cette multiplicité formelle et très disparate. Les grecs eux-mêmes n’ont pas d’existence tangible ; ce qui est au fond un comble. Ils ne sont que la foule de la Place Syntagma au centre d’Athènes, rassemblée pour entendre l’orateur en chemise blanche, A. Tsipras. Le titre Projet Grèce avoue cette perspective « a-théâtrale » puisqu’il correspond au nom d’une exposition proposée par Zoé dont on ignore d’ailleurs les tenants et les aboutissants. Les deux personnages féminins n’ont pas de véritable épaisseur : elles visitent des sites archéologiques, évoquent de temps en temps la fameuse exposition, lisent des mails, apprennent le grec, parlent vaguement de politique, voyagent entre Grèce et France, le tout sans cohérence dramatique. Le jeune politicien Tsipras qui sera premier ministre n’acquiert pas de stature d’homme à la conquête du pouvoir. Il reste dans la pure rhétorique. On sait que les désillusions viendront vite et qu’il cèdera sur de nombreux points en matière financière ou sociale. On aurait sans doute pu tracer cette trajectoire qui aboutit au retour aux affaires d’un homme de la Nouvelle Démocratie, Kyriákos Mitsotákis, premier ministre actuel de la Grèce.
Alors vraiment PROJET NE FAIT PAS ŒUVRE.
L’ENSATT est partenaire artistique de la publication.
Marie Du Crest
- Vu: 1993