Ping Pang Qiu 乒乓球, Angélica Liddell
Ping Pang Qiu 乒乓球, traduit de l’espagnol par Christilla Vasserot, 45 pages, 2013, 10 €
Ecrivain(s): Angélica Liddell Edition: Les solitaires intempestifs
Née en 1966 en Espagne, Angélica Liddell, depuis son enfance, est habitée par des personnages, des dialogues. Plutôt que de s’engager dans un apprentissage conventionnel du théâtre, elle se construit dans les rencontres. La vie et le théâtre ne font qu’un. Elle écrit, elle met en scène, elle est sur le plateau : elle se mutile, boit de l’alcool, elle dit toutes les horreurs des êtres et du monde. Elle fonde la compagnie Atra Bilis en 1993 et ne cesse d’écrire (une vingtaine de pièces à son actif). En France, le public découvre la puissance de son théâtre lors du festival d’Avignon en 2010 avec la pièce La maison de la force, spectacle de quatre heures.
Ses œuvres parlent de la douleur des clandestins africains qui s’échouent sur les côtes espagnoles, des monstres comme Richard III, des femmes mexicaines… Angélica Liddell est sans aucun doute comme Rodrigo Garcia un phare du théâtre contemporain ibérique.
Pour entrer dans l’univers d’Angélina Liddell, il faut visiter son site organisé en deux parties : la vida et el trabajo. Il réunit des collages, des dessins, des détournements. Les corps des femmes y sont suppliciés, érotisés : www.angelicaliddell.com
L’année de Richard
« Maudit soit l’homme qui se confie en l’homme »
La maison de la force
Chez Les Solitaires Intempestifs.
Et les poissons partirent combattre les hommes
Belgrade
Aux Editions théâtrales.
UN AMOUR DE CHINE
A mon fils Paul qui aime tant la Chine, le chinois et les chinoises
Angélica aime la Chine comme nous aimons, sans comprendre. Elle redit à Fabián :
Pourquoi tu aimes la Chine ?
Je ne sais pas.
Angélica, c’est celle qui a écrit la pièce Ping Pang. C’est Angélica Liddell qui parle comme si la distance entre le texte de la pièce et la parole personnelle s’abolissait. Est-elle en somme un personnage ? Il y a deux côtés comme au ping-pong, le jeu sur lequel s’ouvre le texte et se referme (15). Sport chinois par excellence et métaphore de son amour pour la Chine et de son rejet pour l’histoire terrible du grand pays. Elle dit d’ailleurs que « aimer la Chine, c’est un amour difficile ».
Au fil des échanges, Angélica évoque la révolution culturelle et tous ses égarements ; les évènements de Tiananmen avec ses deux héros : le tankiste et le manifestant, seuls, se faisant face ; la violence faite aux contre-révolutionnaires. Un jeune chinois s’éprend d’une femme blanche et finit dans la mort. Les enfants battent leurs propres mères au nom de la propagande maoïste. Il y a les intellectuels, les artistes qui subissent la répression, l’interdiction de publication, l’emprisonnement à l’instar du prix Nobel de littérature 2000, Gao Xiangjian, grand auteur de théâtre lui-même qui s’installera finalement en France. Angélica sait que « le monde de l’expression » est de partout aux prises avec les pouvoirs, ceux qu’elle appelle « les empereurs de la clim ». Ainsi Thomas Bernhard fut dans les années 80, avec son livre Des arbres à abattre, en butte à l’interdiction. Les nazis s’en prirent aux tableaux de Klimt et les brûlèrent. Et pourtant certains chinois n’arrivent pas à rejeter Mao, le mythe, comme Guo, acrobate qui travaille avec Angélica.
Et l’amour de la Chine pour Angélica, c’est apprendre sa langue, avancer dans la reconnaissance des signes : Alors je noircis des pages et des pages de caractères pendant deux ou trois heures, et ça me soulage (p.12).
Au fond, seuls les artistes, les écrivains sauvent le monde de ses infamies. Angélica Liddell convoque la musique qui a toujours tenu une place essentielle dans ses œuvres et spectacles. Les chansons par exemple disent, selon elle, toujours la vérité. Elles ne sont pas ornement mais autre forme de son texte. Dans Ping Pang, elle entremêle sa parole avec celle de l’aria de l’opéra de Gluck, Orphée et Eurydice, cité en italien : Chè faro senza Euridice ?
Déchirante histoire d’amour. Orphée-Angélica et Eurydice-La Chine qui « est un fantôme ». Le sinogramme 哭 (KU) traverse le texte comme un mystère, un leitmotiv (p.7-p.45). Sindo veut en connaître le sens et Angélica et lui répèteront : pleurer. Lamento de celui qui perdit à jamais sa bien-aimée et Angélica, désespérée de la Chine. Autre chant d’amour, celui d’une chanson espagnole de 1939 d’Alberto Dominguez :
Mujer,
Si puedes tú con Dios hablar…
A cette beauté musicale, langage de l’amour, s’opposent la raideur idéologique du red detachment of women et le sommaire du petit livre rouge de Mao (p.10-p.11) lu ou dit par Fabian qui sera repris en quelque sorte par la chanson de Claude Channes, chanson de 1967, chanson du film de Godard, La chinoise. Texte dérisoire, voix féminine ridicule qui reprend le refrain :
C’est le petit livre rouge
Qui fait que tout enfin bouge.
Angélica Liddell, dans ce texte politique et poétique, travaille sur le foisonnement des genres : le théâtre, le théâtre dans le théâtre, l’autobiographie, l’interrogatoire, l’entretien, la comédie musicale, l’opéra. Les langues aussi se multiplient, l’espagnol traduit ici en français, l’italien et le mandarin. La souffrance de la Chine ne peut sans doute être dite qu’à travers ces échanges rapides comme ceux de deux joueurs de ping-pong véloces.
La pièce a été créée en Espagne au théâtre EL Canal en 2012. En France, elle a été montée dans le cadre du festival Ambivalence(s) à Valence en mai 2013, et sera jouée au festival d’Avignon édition 2013, du 5 juillet au 11 juillet au gymnase du lycée Mistral.
Marie Du Crest
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