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Peindre l’hiver, Notes sur La Pie de Claude Monet, Gérard Titus-Carmel (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine 08.06.23 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Arts, L'Atelier Contemporain

Peindre l’hiver, Notes sur La Pie de Claude Monet, Gérard Titus-Carmel, L’Atelier Contemporain, Collection Phalènes, avril 2023, 32 pages, 7 €

Edition: L'Atelier Contemporain

Peindre l’hiver, Notes sur La Pie de Claude Monet, Gérard Titus-Carmel (par Charles Duttine)

 

La fausse candeur du blanc

Que peindre, comment peindre et pourquoi ? Tant d’interrogations présentes à l’esprit de celui qui cherche à fixer un sujet sur la toile. A la première question, l’artiste qui s’engage dans une œuvre a sans doute la réponse. Quoique ? On sait que dans n’importe quel domaine artistique, l’idée initiale qui motive la création peut être oubliée, dépassée, surmontée en cours de route. Il suffit de penser au documentaire de Henri-Georges Clouzot, Le Mystère Picasso, où l’on voit le peintre tâtonner dans sa démarche, aller d’une forme première à une autre, sans que la dernière ne puisse pleinement, semble-t-il, le satisfaire. Pour reprendre des mots de Maurice Blanchot, c’est « une œuvre qui s’accomplit en se supprimant, qui se prouve en se confrontant avec elle-même et se suspend tout en s’affirmant ».

Gérard Titus-Carmel emploie, quant à lui, le mot « épreuve » à propos du célèbre tableau de Monet, La Pie. « Sans doute Monet se demanda ce jour-là à quelle épreuve il se soumettait, en voulant peindre un paysage de neige sur sa toile blanche, comme sont déjà aveuglantes toutes ces surfaces immaculées avant le travail… », ainsi commence le court mais dense essai qu’il consacre à ce chef-d’œuvre.

Et Titus-Carmel nous introduit dans les coulisses de cette œuvre conservée au Musée d’Orsay. Comment ont été rendues les visées de Monet ? Celles d’un moment « lumineux » et d’un paysage « devenu tout entier suspens, immobilité et recueillement ». Là, « tout est calme et accueil dans cette vue de fin de jour déclinant », écrit Titus-Carmel. Cette scène est apaisée et apaisante, c’est une invitation à la contemplation ou encore il s’agit d’une parenthèse « dans l’agitation du monde ». Nombre d’éléments concourent à cette atmosphère. L’auteur de l’essai souligne la composition d’un lieu resserré sur lui-même où plusieurs plans encadrent le regard du peintre et son sujet. Il évoque également le travail sur les nuances de couleurs. Pas de gris dont il rappelle que Delacroix le considérait comme « l’ennemi de la peinture ». En revanche, des nuances de blanc, un camaïeu qui joue avec des reflets bleuâtres, le jaune de Naples, quelques taches de rouge et le « point noir » de la pie. Toute une richesse sous la blancheur candide de la neige.

L’auteur souligne également le choix paradoxal de Monet. Lui, le peintre de l’été et de la lumière, l’homme des coquelicots, celui de Vétheuil en été ; celui qui a cherché dans ses abondantes séries à saisir les jeux du soleil à différents moments de la journée, sur la façade de la cathédrale de Rouen, ou encore autour des meules de foin sur lesquelles pèse une chaleur écrasante. Pourquoi a-t-il choisi cette scène hivernale et pourquoi a-t-il peint aussi souvent l’hiver ? Titus-Carmel rappelle une confidence de Monet : « Je vais dans la campagne, qui est belle ici, que je trouve peut-être plus agréable encore l’hiver que l’été ». Et il propose une interprétation originale de ces nombreux tableaux d’hiver. Ils apporteraient au peintre une respiration dans son travail, une mise à distance dans sa création. Peut-être, Monet « a-t-il ressenti le besoin d’une pause où la peinture s’inquiète d’elle-même en se ramassant sur des vues d’où la couleur est comme bannie ? ». Dans la « nudité de la palette » la peinture se serait « ressaisie », écrit-il. Interprétation intéressante entre l’Envers d’une œuvre et son Endroit.

Et, à contempler ce tableau, il y a ce détail qui saute aux yeux et qui a donné le titre du tableau, la présence de la pie, une tache noire dans cet ensemble enneigé. Est-ce un détail ? On dit que dans les détails, le diable s’y loge. Titus-Carmel voit cette pie comme un « cri » et le « centre vivant du tableau ». Le peintre aurait voulu fixer l’instant avant que l’oiseau ne s’envole, saisir ce petit moment de temps pur, ou encore dévoiler un « temps miraculeusement suspendu ». L’être-là du peintre, celui de l’animal et du lieu se voient ainsi liés par un attachement rare et précieux et qui nous embarquent, nous spectateurs.

Ce petit essai de Gérard Titus-Carmel (32 pages) est publié dans la Collection bien nommée « Phalènes » de l’Atelier contemporain. Une collection de textes de grandes qualités et comme toujours chez cet éditeur, des ouvrages de belle facture. Autant de regards éclairés et éclairants sur l’éblouissement que provoquent certains tableaux et où parfois nos ailes pourraient se brûler.

 

Charles Duttine

 

Gérard Titus-Carmel est né en 1942. Après des études de gravure à l’école Boulle, il s’affirme comme peintre, dessinateur et graveur. Il a illustré nombre d’ouvrages de poètes et d’écrivains, et il est lui-même auteur d’une cinquantaine de livres : récits, essais, recueil de poèmes, écrits sur l’art.

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A propos du rédacteur

Charles Duttine

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Charles Duttine enseigne les lettres et la philosophie, après avoir étudié à la Sorbonne où il fut notamment élève d’Emmanuel Levinas. Auteur de nombreux récits courts, dont Douze Cordes (Prix Jazz en Velay, 2015), il a publié deux recueils de nouvelles, Folklore, Au Regard des Bêtes et un récit romanesque Henri Beyle et son curieux tourment.

Son dernier ouvrage (deux novellas) L’ivresse de l’eau suivi par De l’art d’être un souillon vient de paraître aux Editions Douro. Il publie régulièrement dans de nombreuses revues littéraires.