Ode au corps tant de fois caressé, Christophe Fourvel (par Sylvie Zobda)
Ode au corps tant de fois caressé, Médiapop Editions, octobre 2019, 30 pages, 7 €
Ecrivain(s): Christophe Fourvel
Le ton est donné dès le titre, le nouveau roman de Christophe Fourvel évoque poésie et expression des sentiments. Tout commence par un air de violon et de piano qui annonce la douceur de l’instant, la voix de Peter Hammill qui se pose sur les gouttelettes en suspension de la salle de bain. Une femme est nue sous l’eau délicieusement tiède. Tous les signes de sensualité et d’abandon sont présents. Un homme regarde sa femme qui se douche. Il se confesse, entame un monologue, une ode à celle qui partage sa vie. La chanson Automn se glisse entre les lignes du roman. Le temps passe et l’automne du narrateur arrive comme un novembre brumeux, installant une nouvelle saison, celle du déclin de la vie après un été brûlant. Que reste-t-il de sa fouge et de son désir ? Pourquoi garde-t-il les mains dans les poches, sans bouger ? Que reste-t-il de son amour ?
Loin d’un Ronsard qui presse sa Cassandre de cueillir la rose avant que la vieillesse ternisse sa beauté, le narrateur s’emploie à la déconstruction d’un mythe.
« Ce n’est pas tant le fait d’avoir plus de quarante ou cinquante ans, mais celui d’avoir renoncé à être Superman. Je ne te l’ai peut-être pas dit mais tu as dû t’en apercevoir. Je ne suis définitivement pas Superman. Et de ce fait, tu as toi aussi cessé d’être une déesse. C’est ainsi. On tombe ensemble. On dégringole les marches main dans la main sans savoir vraiment qui entraîne l’autre ».
Pourtant l’homme reste persuadé que sa femme partageant sa vie depuis plus de trente ans est la plus désirable au monde, même avec l’arrivée de l’automne et des prémisses de la vieillesse, des rides et des cheveux blancs qui agissent comme un révélateur d’un temps qui n’est plus.
« Tu as 59 ans. A qui fera-t-on croire que ta plastique est absolument parfaite ? Et la mienne ? Je m’en fous. Je n’aime ni le jeunisme ni sa négation. J’ai la chance de voir autrement, hors du temps ».
Il est avant tout question de regard. L’homme observe sa femme. Il espère un regard d’elle lui demandant de la rejoindre. Il lit en elle les années passées et les corps qui se parlent en silence. Il la voit dans le souvenir des années de séduction, le passé nourrit le présent, le passé est le liant de leur relation, des efforts communs pour résister à la rupture. Les traces d’autrefois persistent dans leur demeure commune, celle habitée par les personnages de ce vieux film des années 80, Paris-Texas(Palme d’or au festival de Cannes en 1984), où Travis a d’étranges similitudes avec le narrateur par son incapacité à communiquer, à vivre pleinement une relation. Ce film fait la couverture du roman comme un habillage sur mesure aux propos de Christophe Fourvel, dans la caresse du pull mohair et le orange pétant qui rappelle le mur de la salle de bain des premières lignes, ce film témoin d’un temps, comme les autres références culturelles qui guident le texte, Belle du seigneur date de 1968, Sarah de Reggiani de 1967 et Automn de Peter Hammill de 1977. Le passé domine. Il faut bien se rattacher à quelque chose, croire en ce qui reste dans cette salle de bain pour ne pas finir comme les amants de Belle du Seigneur où Albert Cohen fait se suicider les personnages après une inexorable déchéance physique et morale.
« Il faut bien comprendre que te voir comme la femme la plus désirable du monde (et je n’oublie personne) malgré ton crâne dégarni, tes seins, tes hanches qui s’affaissent pose une couche de merveilleux qui me plonge en état d’hypnose ».
L’homme reste immobile, empêché, un brin velléitaire comme un miroir inutile perlé de buées, il guette les gestes de sa femme qui a terminé sa douche et se passe de la crème sur le corps. Il espère encore. Il ne voit plus sa femme, il l’espère. Peut-être est-ce ça, une ode, un hymne pour un corps tant de fois caressé, un espoir qui ne se ternit pas, qui reste bien vivant, qui arrive par le regard de l’être aimé.
Christophe Fourvel signe un roman délicat à la douceur mélancolique, un instant fragile, fugace, qui ne dure que le temps d’une chanson, d’un poème. La rose reste vivante, malgré le naufrage du temps.
Sylvie Zobda
Christophe Fourvel, né en 1965 à Marseille, vit non loin de Besançon. Animateur d’ateliers d’écriture, il est aussi auteur de livres pour enfants, de textes pour la scène, de chroniques dans la presse. Il a publié, aux éditions La Fosse aux ours, Le mal que l’on se fait (2014), Bushi no nasake (2011), Des hommes (2002), Dumky (2000), Derniers paysages avant traversée (1999). Aux éditions La Dragonne, Montevideo, Henri Calet et moi (2006), Anything for John (2005), Journal de la première année (2001). Et au Chemin de fer, La dernière fois où j’ai vu un corps (2011).
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