Lila, Goethe
Lila, La Cause des Livres (2013), Edition bilingue (allemand/français), trad. de l’allemand Annemarie Neffgen, préface Maud Duval, postface Pierre Bourdariat, 123 p. 16 €
Ecrivain(s): Goethe
Lila apprend par une lettre anonyme la mort de son mari le baron Sternthal. Elle tombe sans connaissance pour se réveiller folle, état qui empire lorsqu’on lui annonce que la nouvelle était dénuée de vérité et qu’elle voit réapparaître le baron. Elle le prend pour un spectre, assimile tous les membres de sa famille à des fantômes, et fuit dans les bois où elle erre en peine et en rond, épouvantée par toute tentative d’approche de la part de sa parentèle, plongée dans les ténèbres de nulle part (en donnant à son personnage le nom de Lila, Goethe savait probablement que ce mot, en arabe, désigne la nuit).
Pendant dix semaines se succèdent au château des charlatans qui lui appliquent sans succès les traitements courants à la fin du 18ème siècle (saignées, lavements, et autres thérapies bien plus douloureuses).
« Je frémis quand je pense aux cures que l’on a essayées sur elle, et je tremble à la pensée des autres cruautés qu’on voulait lui infliger avec mon accord », se lamente le baron, alors qu’on vient lui présenter un nouveau guérisseur, le médecin Verazio.
Mais voilà que Verazio, après avoir écouté avec attention les origines et les manifestations de la démence de Lila, propose un traitement inouï, consistant à entrer dans le délire de la jeune femme, mode thérapeutique qui, à l’époque de Goethe, anticipe d’un siècle Freud et ce qui deviendra par la suite la psychanalyse et, plus particulièrement, le psychodrame !
Tous les habitants du château, sous la férule de l’homme de science devenu dramaturge et metteur en scène, se déguisent et rejoignent Lila dans les bois où ils lui sont présentés par Verazio ayant endossé pour sa part le costume et le rôle de mage, comme des esprits bienveillants.
Alors commence une étrange sarabande avec chants, musiques et danses, dans cette atmosphère fantasmagorique qu’on retrouve de façon récurrente dans les pièces de Goethe.
le théâtre dans le théâtre
le rêve, l’illusion, le jeu, et la réalité qui s’entrelacent et se confondent
l’usage du masque trompeur pour démasquer la tromperie originelle
la puissance cathartique du verbe sur le public, et sa fonction d’auto-thérapie sur l’auteur lui-même
l’abolition, ou la transgression de la frontière entre l’ici et l’au-delà
l’amour qui vainc la maladie et la mort
une intrigue amoureuse qui vient s’intriquer dans la trame principale…
une telle richesse dans une pièce aussi courte (quatre actes brefs) procure au lecteur le vertige que seules provoquent les grandes œuvres et l’oblige à s’incliner devant l’éclatante évidence du génie.
Cerise sur le gâteau : cette édition comporte en préface une présentation érudite de la genèse de Lila, signée de Maud Duval, agrégée d’allemand, docteur en études germaniques, et offre en postface une intéressante réflexion de Pierre Bourdariat, psychanalyste et psychodramatiste, à propos de la relation qu’on est en droit d’établir entre cette œuvre de Goethe et les travaux du Docteur Jacob Levy Moreno (1892-1974) et de ses disciples contemporains sur la fonction thérapeutique du psychodrame.
Patryck Froissart
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