Le médecin d’Avignon, Isabelle Pouchin (par François Baillon)
Le médecin d’Avignon, Isabelle Pouchin, éd. Gaspard Nocturne, mars 2021, 180 pages, 19 €
Le voyage d’Hugues Rivehaute, le « médecin d’Avignon », nous emmène en 1349 (et un peu au-delà), dans une France que la peste ravage, où les morts s’accumulent comme autant de corps indifférenciés, où l’atmosphère putride et le désespoir ont achevé de désarmer le personnage principal. « Vous n’en avez pas guéri un, pas un seul » (p.12). Abandonnant son engagement de médecin et son collègue Guy de Chauliac, Hugues a pour seul but de gagner le nord : « un homme failli ne manque à personne » (p.5). L’itinérance qui se fait alors par les pas se fait aussi par les pensées et les rêves : l’on découvre la rudesse des épreuves passées, telle que la perte de sa femme et de ses enfants qu’il a été incapable de sauver. Cependant, son chemin le conduit à rencontrer la bonté exceptionnelle d’une vieille femme isolée, Jeanne, qui après plusieurs semaines parviendra à le remettre sur pied ; un compagnon qui ne le lâchera plus, le chien Pelote ; la beauté ineffable de la nature et son découlement perpétuel ; ses bêtes qui semblent observer ironiquement le spectacle dramatique des hommes, victimes esseulées d’un fléau horrifiant.
Au long de cette marche qui passe par Paris et va jusqu’à Lisieux, les doutes se font incessants et les épreuves persisteront. « Peut-être que la vie revient à ne pas pouvoir. Une sorte de bûcheronnement très soigneux et très vain » (p.160). Pourtant, se révèle un hymne singulier à la résistance, au combat presque inconscient et inexplicable pour la vie. Ainsi, Hugues Rivehaute finit par retrouver sa mission de départ : sauver des vies, plaçant ses espérances dans son opiniâtreté, dans l’enseignement pratique délivré à Martin, et sans doute plus encore dans la présence de Dieu. « La fatalité, c’est le contraire de l’homme, je crois bien » (p.177).
Le roman fait étrangement écho à l’actualité de notre crise, bien que celle-ci s’avère beaucoup moins glaçante : comment un médecin trouve-t-il les ressources pour lutter devant le phénomène d’un fléau viral ? Si cet écho paraît se justifier, Isabelle Pouchin fait ici usage d’une langue très personnelle, confinant souvent à la poésie : « …à la fin des vêpres, alors que la journée est jouée, les nuages se décollent, s’ouvrent sur un peu de fond bleu, ça vient : les collines, les pâtures se soulèvent. Du vert, du lait, du rouge ; et par-dessus, une petite tache lunaire qui balance sa corne. De nacre » (p.100). Elle ne ménage cependant pas notre sensibilité quant aux misères insoutenables auxquelles est confronté son personnage. Elle a par ailleurs l’audace de raconter ce voyage, en majeure partie, à la deuxième personne du pluriel, fixant pour nous une proximité d’autant plus grande avec Hugues Rivehaute ; elle use régulièrement d’un langage populaire antique (réel ou imaginaire ?) dans les dialogues, qui crée de la drôlerie ; et ces caractéristiques confèrent à l’ensemble du texte une saveur unique parmi les fictions actuelles.
Ce roman ne nous est donc pas lointain, malgré le temps de l’action. Notre-Dame de Paris, achevée il y a quatre ans nous dit-on, s’entoure même d’une aura de nouveauté. Au sein de ce combat qui semble vouloir achever un être humain dévoué de manière pernicieuse, Isabelle Pouchin convoque les notions de beauté, de solidarité et de volonté pour creuser un chemin salvateur – un chemin qui, grâce à sa voix littéraire, se dessine avec impression sous nos yeux.
François Baillon
Isabelle Pouchin a publié son premier ouvrage, Monet, la femme et l’enfant dans le champ aux coquelicots, à L’Atelier de l’Agneau (2009). Depuis, ont paru d’elle huit œuvres chez Gaspard Nocturne, ainsi qu’un roman, Les Larmes Amères d’Hélène, à La Feuille de Thé.
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