Le Lévrier, Vanessa Montfort
Le Lévrier, Actualités Editions, coll. Les Incorrigibles, 2016, trad. espagnol, David Ferré, 126 pages, 11 €
Ecrivain(s): Vanessa Montfort
Le Lévrier de Vanessa Montfort est une pièce qui affirme avec un magnifique brio la vitalité du jeune théâtre d’auteur espagnol.
Dans la cuisine d’une maison madrilène encombrée de cartons, cinq personnages s’affrontent autour d’un lévrier abandonné : Elena et Daniel, qui l’ont recueilli pendant quelques mois et qui souhaiteraient le garder sans en avoir les moyens financiers ; Hans et Greta, couple plus aisé venu d’Allemagne pour l’adoption officielle ; et Rita, membre bénévole d’une association de défense des animaux, chargée de superviser l’adoption.
Le lévrier – que l’on entendra sans le voir – est un animal hautement symbolique, un galgo de pure origine espagnole qui témoigne du panache perdu de la vieille nation. En cette période de crise économique où les propriétaires insolvables doivent déménager, les chiens abandonnés pullulent et les lévriers impropres à la chasse subissent de mauvais traitements causant un grand émoi dans l’opinion publique.
Placé au centre du drame, cet animal cristallise aussi les conflits larvés qui opposent les deux couples : l’espagnol appauvri et l’allemand florissant ; l’arrogante Europe du nord face à l’Europe des « PIIGS » (Portugal, Italy, Ireland, Greece… and Spain). Mais l’adoption du lévrier est également l’enjeu de luttes plus obscures et non moins douloureuses au sein de chacun de ces deux couples de quadragénaires sans enfants… Dans cette atmosphère électrique circule l’extravagante Rita, sexagénaire « crudi-végane », férue de sophrologie, de méditation transcendantale, de télépathie animale, qui fait signer aux adoptants des pétitions mystico-écologistes :
Rita – Ah, au fait, avant d’oublier, vous avez l’air d’être des citoyens engagés, si cela vous intéresse, je collecte des signatures pour que le Pôle Nord soit déclaré Sanctuaire Global de l’Humanité.
Daniel – Un sanctuaire comme Santiago de Compostelle, La Mecque… ?
Rita – On veut réaliser une affiche, avec l’image d’un million de signatures au fond de la mer, pour que l’ONU se porte garante de sa protection, et freine un peu les intérêts nationaux.
Daniel – Comme lieu de pèlerinage, je ne vois pas beaucoup d’avenir…
(Hans cherche l’information sur son iPhone avec anxiété)
(…) Hans – Ouah, apparemment Hugh Grant, Peter Gabriel, Pénélope Cruz et même les Red Hot Chili Peppers, ont déjà signé.
Le lecteur ou le spectateur esquisse au début de cette pièce un sourire amusé qui se transforme au fil du texte en un franc éclat de rire, car tous les ressorts du comique sont présents : chutes spectaculaires, fuites d’eau, jeux de mots, quiproquos, situations ridicules, et surtout personnages porteurs des clichés contemporains, en proie à des phobies, à des troubles obsessionnels compulsifs et à des « montées d’adrénaline » qui sont les formes que prennent au XXIème siècle les « crises de nerfs » almodovariennes.
Une des qualités de l’écriture scénique de Vanessa Montfort est l’inventivité de ses didascalies qui rythment le texte comme un refrain silencieux, marquent la montée des tensions et confèrent à la simple lecture l’animation d’un spectacle. L’omniscient lévrier éponyme n’a que les didascalies pour faire entendre sa voix, ponctuant à sa manière le malaise croissant : Le chien aboie, mais plus fort, plus soutenu et plus compulsif. Ou bien : Pause. Tension. Daniel et Greta se regardent droit dans les yeux. On entend des aboiements. D’autres didascalies concernent les sonneries de portables, les bruits disgracieux, les postures grotesques, les gestes désordonnés ou au contraire excessivement vigilants : Rita observe le couple allemand et note quelque chose dans son calepin…
Ce cocktail coloré mais explosif d’une Europe en crise alimente notre impression de nous trouver dans un monde désarticulé, à la fois saturé de sens et en perte de sens, ce qui fait du Lévrier une comédie sociale singulièrement grinçante.
Nathalie de Courson
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