La Tragédie de l’Âne suivi de Les Farces Philosophiques, Catherine Gil Alcala
La Tragédie de l’Âne suivi de Les Farces Philosophiques, éd. La Maison brûlée, 2016, 180 pages, 16 €
Ecrivain(s): Catherine Gil Alcala
Les hommes et les bêtes
Il faudrait sans aucun doute revenir sur la figure de l’âne, qui traverse l’histoire des hommes et celle des histoires qu’ils inventent. Empreintes mythologiques des métamorphoses : le roi Midas puni et ridiculisé, Lucius transformé malgré lui en âne ou bien sortilèges de nos contes de fées qui font d’une belle princesse une souillon revêtue d’une peau de l’animal. De tout cela se souvient Catherine Gil Alcala dans sa pièce de théâtre La Tragédie de l’Âne. Son texte traverse à la fois le monde des bêtes et celui des hommes ; ses personnages sont : roi aux oreilles d’âne décollées, reine des oiseaux, femme de l’épervier, aigle, épervier, corbeau, alouette, serpent mais aussi servantes, gardes, devin, vieille femme ou amant et homme hors jeu et enfant meurtrier. Et tous sont sur le devant de la scène tragique intemporelle, née de la Grèce. A la différence d’autres textes (ceux du théâtre/poésie), Catherine Gil Alcala retrouve une forme dramatique « classique » fondée sur trois actes découpés en scènes. C’est le destin, le fatum qui tisse les lignes de forces. Dès la scène 1 de l’acte 1, la reine des oiseaux que le roi a répudiée annonce la catastrophe à venir (p.12).
Un tollé de clameurs bientôt s’élèvera contre toi dans les ciels et nos peuples désunis entreront en guerre !
Deux destins d’ailleurs s’affrontent et se font écho ; celui du malheur et celui du bonheur que profère le roi en personne :
Les devins prophétisent sur son destin (celui de son fils à naître) comme celui d’un astre qui resplendit, son nom dépassera les frontières des ciels et de la terre, de la vie et de la mort !
Un personnage, le devin, incarne la parole même du destin tragique (p.26) :
Roi, tu ne devrais pas ainsi t’enflammer, tu es allé trop loin cette fois, tout cela finira mal !
La vengeance s’attache aussi au Destin. Les spectres des victimes comme dans Hamlet taraudent leurs meurtriers. Ainsi la reine des oiseaux après avoir maudit sa rivale et son fils réapparaît-elle à la scène 2 de l’acte 1 sous la forme de sa tête décapitée, lançant en un monologue puissant ses malédictions. Le chœur des esprits de l’air quant à lui commente, redit le Destin qui avance et emporte le roi et plus tard sa seconde épouse, sous la forme d’une suite de phrases-vers qui fragmentent la dimension discursive présente ailleurs dans la pièce. Il ouvre l’acte 2 ainsi que l’acte 3 pour revenir à la scène 4 de ce même acte. Il témoigne de la parole et de la matière tragique, portée dans le titre de la pièce (p.55) :
des spectres tragiques s’avancent
à pas lents sur des cothurnes.
Toutefois Catherine Gil Alcala écrit dans le foisonnement des mondes ; celui des contes dans lesquels animaux, oiseaux côtoient les hommes, leur parlent. L’humanité et l’animalité se superposent jusque dans l’acte cannibale au centre de l’action puisque le roi donne à manger la reine des oiseaux à son festin de noces avec la nouvelle reine.
L’homme est bestial. La femme de l’épervier prononce cette sentence (p.32) :
Le roi était une bête monstrueuse incarnée, un sang mêlé de l’inceste avec un pied sur la terre et un pied dans les enfers !
Les proies et les prédateurs se font face. Les oiseaux choisis par l’auteure répondent à cette dichotomie : celle des rapaces et celle des oiseaux inoffensifs. Et l’humanité qui parcourt l’espace du texte est turpitude, cruauté, fragilité tout à la fois. L’enfant dévore sa propre mère en quelque sorte : la naissance humaine est abomination, anéantissement (p.58) :
Le monde en guerre retourne dans la forge asphyxiante de l’utérus
Tout s’achève donc dans l’ultime image d’une « flaque de boue mêlée de sang carmin ».
Marie du Crest
On peut retrouver deux chroniques dont une de Didier Ayres consacrées à C. Gil Alcala.
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