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La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, Richard Millet (par Gilles Banderier)

Ecrit par Gilles Banderier 21.11.22 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Biographie

La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, Richard Millet, éditions Les Provinciales, août 2022, 300 pages, 24 €

Ecrivain(s): Richard Millet

La Forteresse, Autobiographie 1953-1973, Richard Millet (par Gilles Banderier)

L’œuvre de Richard Millet contient plusieurs ouvrages que l’on doit qualifier d’autobiographiques dans la mesure où, ne serait-ce qu’aux yeux de l’auteur lui-même, cet adjectif est celui qui convient (Un Balcon à Beyrouth, Brumes de Cimmérie, L’Orient désert, etc.), sans oublier trois volumes de Journal, courant de 1971 à 2003. L’apparition d’une autobiographie proprement dite ne surprend guère et ne correspond pas à une nouveauté absolue : elle met en ordre une matière éparse ailleurs, longuement décantée, y compris dans les essais. « Écrire sur soi, c’est se faire l’alchimiste de l’insignifiant, autant que du perdu : muer l’or en déchet, parce que la vérité que je cherche sur moi ne brille pas forcément, ou que sa lumière est encore de la nuit » (p.36).

La Forteresse fut achevée dans l’ambiance suspendue et dystopique (il fallait s’autosigner un document administratif pour promener son chien, tandis que les hélicoptères des forces de l’ordre traquaient d’éventuels contrevenants) du « premier confinement » (mars-mai 2020), rendue encore plus pesante pour Richard Millet par la maladie et la mort de sa seconde femme (la Covid n’y était pour rien).

Comme toute autobiographie « moderne » (on reviendra sur cet adjectif), celle-ci s’ouvre sur la naissance de l’intéressé, le 29 mars 1953, « au bord de la Vézère : je suis né dans un contexte liquide, et plus largement entre le XIXe siècle, où s’attardait la haute Corrèze, et le XXe qui verrait la mort de ce village, et puis le XXIe siècle, où je mourrai » (p.46-47). Dans ses entretiens avec Didier Eribon, Georges Dumézil disait qu’il « est survenu plus de transformations entre le XVIIIe siècle et nous qu’entre les Indo-Européens et le XVIIIe siècle ». Toutes proportions gardées et à quelques détails près, on naissait, on vivait et on mourait à Viam, où Richard Millet vit le jour, comme on l’avait fait, là ou ailleurs, pendant des siècles.

De manière normale, des années s’écouleront entre la naissance physique et le premier souvenir arraché à la nuit de la prime enfance et bientôt suivi d’innombrables autres. Richard Millet s’efforcera de reconstituer ce que fut le couple formé par ses parents (avares de confidences, comme c’était la norme), avant que ce couple ne se transforme en famille. Puis, l’enfance, informe et brouillonne, comme elle l’est toujours, à moins qu’on ne se livre, là aussi, à une reconstitution d’autant moins convaincante qu’elle sera soignée, le départ pour un pays lointain (le Liban), le retour en France, les études universitaires, les premières publications, l’enseignement (un « milieu socialement protégé, intellectuellement médiocre, déjà dévalué, aujourd’hui naufragé, et où les femmes prenaient le pouvoir, comme elles le font dans le milieu de l’édition et dans le roman. Quant au statut de l’écrivain, il a chu en même temps que celui de professeur », p.134).

On ne reviendra pas sur « l’affaire » qui conduisit Richard Millet à être chassé du paradis de la rue Sébastien-Bottin, gardé par un chérubin aussi hargneux que chenu, armé d’un Prix suédois et de l’épée du politiquement correct. Il est cependant possible de classer (pour autant que ce genre de classement vaille quelque chose) Millet parmi les écrivains de droite, les « anti-modernes » étudiés par Antoine Compagnon ou les réactionnaires. Par rapport à toutes ces étiquettes (qui, on le récrit, ne valent que ce qu’elles valent), La Forteresse rend un son profondément « moderne », ainsi par l’insistance sur la sexualité et le corps souffrant de l’auteur, amoindri par les séquelles embarrassantes accompagnant certaines maladies (des détails qu’à une autre époque on aurait jugé préférable de taire) ; un son qui évoque, par exemple, un écrivain antérieur d’une génération (il est né en 1932), Claude Louis-Combet, dont les thèmes sont aussi différents que possible de ceux de Richard Millet.

 

Gilles Banderier

 

Richard Millet est l’auteur de plus de 80 livres.

 

Critique du même ouvrage par Philippe Chauché

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A propos de l'écrivain

Richard Millet

 

Richard MILLET, né en 1953, a situé de superbes romans en Haute Corrèze (« la gloire des Pythre ») dont l’écriture et l’atmosphère prennent le champ qu’il faut par rapport à la dite « fameuse » école de Brive, à laquelle on associe souvent la Corrèze littéraire.

Elevé au Liban, il y combattit aux côtés des chrétiens, colorant son œuvre d’un parfum d’intégrisme. Editeur influent, polémiste redoutable, son ouvrage « le sentiment de la langue » fut salué du prix de l’essai de l’Académie Française.


A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).