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La Boussole d’Einstein, Gilles Vidal (par Fawaz Hussain)

Ecrit par Fawaz Hussain 28.08.19 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Roman

La Boussole d’Einstein, éditions Zinédi, août 2019, 224 pages, 17,90 €.

Ecrivain(s): Gilles Vidal

La Boussole d’Einstein, Gilles Vidal (par Fawaz Hussain)

 

Parti de chez lui à l’âge de dix-huit ans, Félix Meyer, le protagoniste de La Boussole d’Einstein, rentre au bercail après une longue absence. Il doit organiser les funérailles de sa sœur aînée, Carole, celle qui, déjà majeure à la mort des parents, s’était occupée du jeune orphelin : une très grosse dette de jeu avait valu au père d’être assassiné, l’alcool avait emporté la mère. « Pas mal de zones d’ombre » l’attendent sur place, notamment les raisons qui ont poussé le chauffard qui a renversé sa sœur à s’acharner sur son corps et à le réduire, surtout la tête, en une informe bouillie. Félix erre dans sa ville, qu’il reconnaît à peine et où il n’a désormais plus personne. Même la maison familiale n’est plus là, on l’a rasée pour faire place à une grande surface. À l’hôtel, il s’inscrit comme « consultant pour des sociétés, dans le domaine de la sécurité et du renseignement ». Solitaire et mystérieux, Félix n’a plus rien à voir avec l’adolescent fragile que le train avait autrefois amené à Paris du fond de sa province.

« Mais pour en arriver là, devenir ce qu’il voulait être, il lui faudrait parcourir un long chemin, à coup sûr semé d’embûches. En premier, se protéger, s’endurcir, ne plus être atteint, se forger une carapace hermétique, une sorte de cuirasse sur laquelle les vilaines flèches de la vie deviendraient inoffensives. Et les flèches, ce serait lui qui les enverrait, et il serait sans pitié pour ceux qui le mériteraient ».

Chargée de l’enquête, le lieutenant Aurélie Costa voit en ce « consultant » plutôt un collègue en civil, un policier, mais d’un genre un peu spécial, « un flic dur à cuire, à l’ancienne ». Dès leur première rencontre, elle dresse son portrait, au moral, mais pas seulement – il faut dire que Félix n’est pas quelqu’un d’ordinaire :

« Il était beau, vraiment, avec un sourire charmeur, des gestes souples et déliés, plein d’assurance tranquille. Mais aussi énigmatique, fermé comme une huître, impossible à lire ».

Malgré une volonté de fer et la gravité de la situation, la perte d’une sœur, le dernier membre qui lui restait de sa famille, Félix, ce dur à cuire, est tout de même troublé par la policière.

« Le lieutenant Costa – fallait-il féminiser, se demanda Meyer, et dire la lieutenante ? – l’observait avec curiosité de ses yeux bleu électrique. À l’aube de la trentaine, les cheveux blonds mi-longs, coupés au carré, le visage et le corps plus qu’harmonieux, la voir dans les rangs de la police lui paraissait aussi incongru que s’il avait rencontré un parachutiste acrophobe ou s’était fait mordre par Bambi. Son sexisme latent devait lui jouer des tours ».

Les deux mènent l’enquête, chacun de son côté. Si Costa manque de moyens et a une hiérarchie qui tend à bâcler, Félix ne lâche pas prise. Il est soutenu par ses chefs, un réseau mystérieux et très puissant qui met à sa disposition une solide logistique.

Félix et Aurélie dominent leurs penchants, de manière à maintenir leurs rencontres dans un cadre professionnel, celui de l’enquête, mais l’inévitable finit par se produire quand Félix se rend dans l’appartement de la jeune femme. Cette nuit-là, la nature, comme pour faire écho aux ébats du couple, se déchaîne en arrière-fond de leur étreinte :

« A peine étaient-ils entrés dans son petit appartement qu’elle leva son visage vers lui, les joues en feu. (…) Leurs nez se frôlèrent, leurs odeurs étrangères se mêlèrent. Il caressa ses cheveux soyeux et fluides. Ses mains parties de ses hanches remontèrent lentement, et quand il saisit ses seins, son corps qui irradiait une chaleur extraordinaire s’arc-bouta, sa langue se fit endiablée. Il lâcha sa bouche, poussa un énorme soupir et la prit à bout de bras ».

L’enquête avance, l’intrigue se corse, et le lecteur va de surprise en surprise. Les rebondissements s’enchaînent à un rythme effréné, jusqu’à la fin. On ne découvre l’étonnante, l’incroyable vérité que dans les toutes dernières pages, où il ne manque que la fameuse exclamation immortalisée par l’inspecteur Bourrel, « bon sang, mais c’est bien sûr ! ».

La Boussole d’Einstein, malgré un meurtre atroce, et l’enquête en bonne en due forme que mènent la police et le propre frère de la victime, n’est toutefois pas un roman policier. Il s’inscrit dans une thématique récurrente de la littérature universelle : le retour de l’enfant prodigue, et prodige, sur le lieu de sa naissance. On ne lit pas La Boussole d’Einstein, on dévore cette puissante fiction qu’une intrigue ultrasophistiquée et judicieusement agencée rend passionnante. On se régale, en sus, d’un style où le luxe des comparaisons et autres métaphores rendraient jaloux feu San Antonio et feraient pouffer une forêt de saules pleureurs. Extrayons-en ces quelques perles :

« Les deux semblaient stagner devant leur PC de bureau, la main posée sur leur souris comme celle du diable sur l’épaule d’un nouveau converti.

Dehors le froid le cueillit comme un Indien Jivaro la tête d’un ennemi à rétrécir.

Le ciel dégorgeait toutes ses larmes, des larmes infectées de spleen.

Il menait désormais une vie aussi bien rangée qu’une paire de draps au fond d’une armoire ».

 

Fawaz Hussain

 

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A propos de l'écrivain

Gilles Vidal

 

Gilles Vidal, écrivain français, est né à Kankan, en Guinée française. Après une enfance toulousaine il devient libraire à Paris (La Grande Fenêtre), puis crée dans les années 1990 les éditions L’Incertain. Il anime ensuite diverses collections, notamment « Nuit grave » chez Fleuve noir. Auteur d’une quarantaine de livres, il vit en région parisienne, et travaille dans l’édition.

 

A propos du rédacteur

Fawaz Hussain

 

Fawaz Hussain est né au nord-est de la Syrie dans une famille kurde. Il vit à Paris et se consacre à l’écriture et à la traduction des classiques français en kurde, sa langue maternelle.