La bataille d’Eskandar, Samuel Gallet
La bataille d’Eskandar, 2017, 64 pages, 13 €
Ecrivain(s): Samuel Gallet Edition: Espaces 34
Le rêve de Madame de Fombanel
Les villes nocturnes de Samuel Gallet sont insurrection, catastrophe, incendie, séisme. Eskandar au nom d’antique cité, ville de sang et de mirages.
Eskandar, quartier sud, le rêve d’une femme qu’un récitant nous présente dans le prologue : elle a des dettes, elle est menacée d’expulsion. Il faut que tout soit détruit pour espérer un recommencement. Il faut pénétrer dans le songe profond comme le théâtre et la musique nous font entrer dans l’obscurité de nos désirs
Et le rêve alors devient le réel
Et le rêve est le réel
Trente-cinq moments pour raconter le chaos, pour entendre les voix de madame de Fombanel, de son fils Mickel, de Thomas Kantor Thomas, l’assassin de Jean D, des huissiers, et pour dire (au micro) la poétique du chaos comme si Eskandar faisait écho à Vilasaq, la ville d’Ultravocal, livre cité en épigraphe par Samuel Gallet. Trois polices d’écriture scellent graphiquement ces trois éléments de la partition : italiques du récit, et des descriptions ; arial des voix humaines et capitales d’imprimerie des menaces et liste des animaux du zoo en liberté et des lions (3 et 16) semblable à une incantation, cœur palpitant du rêve de Madame de Fombanel. D’ailleurs toutes les bêtes, échappées du zoo après le séisme, traversent la ville et le poème tout entier. Elles sont « les bêtes fabuleuses » (pages 11, 12, 20, 23, 30, 39, 42, 57). Elles investissent la place : au début, elles sont murmure de la voix de Madame de Fombanel puis, peu à peu, menacent la ville, « encerclent », « rugissent », se multiplient. Les êtres humains eux-mêmes deviennent animal tel le petit Mickel que sa mère surnomme « mon hippocampe ».
Mais le rêve est aussi narration construite, inscrite dans une chronologie. Début à 7 heures du matin (p.12), puis « cinq jours après le grand séisme » (p.17), le crépuscule (29). La nuit se referme sur eux. Comme un poing (p.34). La nuit avance, engloutit tout dans le « noir total » (p.48). L’épilogue suspend la succession du temps et installe une ellipse : « des années plus tard » (p.60) lorsque Mickel prend à son tour la parole en adulte, réintégrant en apparence seulement le réalisme de la vie quotidienne.
Au cœur de cette matière du temps et des lieux urbains, se croisent les personnages qui monologuent, dialoguent parfois, s’écoutent. Ils se croisent au hasard dans la violence de la cité. Madame de Fombanel chasse et Thomas Kantor, le botaniste tue son rival à l’université centrale.
Ils se retrouvent dans une école, sorte d’arche protectrice. Mais les huissiers ressurgissent toujours dans le rêve de madame de Fombanel. L’un d’entre eux sera blessé par le couteau du jeune Mickel. L’homme et l’enfant fuient alors devant la horde sauvage qui les menace. Jusqu’à l’école.
Hallucinations de la ville immense, comme une savane, de l’huissier grotesque avec un couteau dans le ventre et de Thomas qui tire vers le ciel et Mickel qui dessine sur un mur un homme élégant. Le rêve est le territoire des poètes.
Marie Du Crest
La pièce de Samuel Gallet a été créée le 26 février 2016 à St Siméon, dans une mise en scène de l’auteur, dans le cadre du collectif Eskandar. Samuel Gallet et Pauline Sales en assuraient la partie « jeu » tandis que Aéla Gourvennec, au violoncelle, et Grégoire Ternois, aux percussions, en assuraient la partition musicale. On peut retrouver des extraits de cette mise en scène sur Youtube (teaser, prologue) ainsi que des chroniques consacrées à deux pièces « urbaines » de S. Gallet en janvier et février 2013 sur La Cause Littéraire.
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