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L’en vert de nos corps, Christine Van Acker (par Delphine Crahay)

Ecrit par Delphine Crahay 11.05.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais

L’en vert de nos corps, Christine Van Acker, L’Arbre de Diane, Coll. La Tortue de Zénon, mars 2020, 228 pages, 15 €

L’en vert de nos corps, Christine Van Acker (par Delphine Crahay)

 

L’en vert de nos corps est un recueil de chroniques qui associe anecdotes, récits de rencontres, descriptions naturalistes de la flore et leçons de choses, considérations scientifiques et philosophiques, littéraires et mythologiques, écologiques, et ça et là, politiques. Hétéroclite et foisonnant, cet ouvrage trouve son fil rouge et sa cohérence dans son thème mais aussi dans l’insatiable et fervente libido sciendi qui anime l’auteure.

C’est aussi un essai, le terme qualifiant assez justement la démarche et l’attitude de Christine Van Acker : elle y déploie non pas une pensée propre mais un certain art de lire, aussi bien les livres que les plantes – « du bout des doigts, ligne par ligne ». Cet art est humble, au sens le plus terrien du terme, et résulte d’une tentative sans cesse réitérée, sans cesse réorientée, de compréhension du règne végétal.

En fait d’ouvrage, on pourrait presque dire qu’il y en a deux : d’une part, la promenade buissonnière à laquelle l’auteure nous convie ; d’autre part, des miscellanées, de sorte que l’ensemble se prête aussi bien à une lecture suivie et linéaire qu’à une déambulation erratique et glaneuse.

Le premier montre que cette « jardinière du dimanche », ainsi qu’elle se qualifie, possède l’art de transmettre des connaissances précises et pointues et d’user du terme propre, en l’occurrence technique, sans être jamais lourde, pédante ou importune. Dotée d’une faculté d’étonnement candide sans être niaise, elle se révèle aussi encline à l’admiration des beautés qui sont offertes à son regard qu’à l’observation minutieuse des phénomènes naturels et à l’étude d’ouvrages savants. Mêlant érudition et anecdotes, rigueur et passion, elle pratique la vulgarisation au sens noble du terme : la mise à disposition et à portée de savoirs scientifiques, à destination non du plus grand nombre – ne nous leurrons pas : la densité du propos éloignera ceux que l’effort rebute ou que le sujet n’intéresse que faiblement – mais d’un grand nombre. Ce faisant, elle renoue avec les usages de certains naturalistes d’autrefois, qui faisaient œuvre de savant autant que d’écrivain et dont le style, littéraire voire poétique, était aux antipodes de la sécheresse désolante de certains traités scientifiques. L’amateur y puisera ainsi des connaissances sur la circulation hélicoïdale de la sève, les effets de certaines vibrations acoustiques sur la croissance des arbres, le phénomène du crown shyness ou timidité des cimes, le langage des fleurs…

Entre les chapitres, s’ouvrent des pages de citations où se côtoient poètes, écrivains et hommes de science, anciens et contemporains – Philippe Jaccottet, Pascal, Jean-Pierre Otte, Colette, Gilles Clément, Jean-Christophe Bailly, Francis Hallé, Jacques Tassin, Jean-Henri Fabre, Charles Darwin… et notre cher Dhôtel – évidemment. Ces analectes composent le second livre, qui invite à la lecture et à l’écriture, à l’étude et à l’observation, à la rêverie et à la pensée. Elles témoignent de la richesse et de la diversité des lectures de l’auteure aussi bien que de la dimension à la fois littéraire et scientifique de son projet et de la collection à laquelle il appartient, La Tortue de Zénon, aux éditions L’Arbre de Diane.

N’étant pas en position de juger de l’exactitude scientifique de cet ouvrage, nous n’en dirons rien – mais nous nous fions aux sources renseignées, au sérieux et à l’honnêteté intellectuelle de l’auteure. Pour le reste, certains trouveront sans doute que les anecdotes et les considérations d’ordre personnel prennent trop de place et sont d’un intérêt inégal ; d’autres railleront peut-être certains propos ou le lexique personnifiant auquel recourt souvent Christine Van Acker. Comme beaucoup d’essais littéraires, celui-ci est fortement imprégné de la personnalité de son auteure, ce qui plaira ou déplaira selon les affinités de chacun.

Si l’on est, comme nous, en sympathie avec ses vues et son amour pour le vivant, que l’on s’intéresse à l’homme ou à la femme derrière le livre, que l’on goûte son humour, la légèreté de ton qui affleure çà et là, toujours opportune, et l’ironie dont elle use à l’égard de certaines errances modernes, ce sera un agrément de plus et on lira L’en-vert de nos corps avec un plaisir et un intérêt très vifs. Si l’on est séduit, on se plongera avec autant de profit et d’agrément dans La Bête a bon dos, un livre du même acabit publié chez Corti en 2018, dans la Collection Biophilia – qu’il faut s’empresser de découvrir si ce n’est déjà fait – où elle met également en œuvre l’enthousiasmant programme de Jean-Pierre Otte : « restituer un peu de cette intimité que personne ne partage plus […] recréer la libre circulation entre les règnes » (L’amour en forêt).

 

Delphine Crahay

 

Christine Van Acker est une femme de lettres belge dont l’œuvre illustre différents genres : roman, conte, récit, essai, poésie, théâtre. Elle est aussi l’auteure de fictions et de documentaires radiophoniques et anime des ateliers d’écriture. Selon ses propres termes, elle « œuvre dans la littérature comme la taupe aveugle gratte la terre de ses longues galeries vides, rejetant des mots à la surface, résidus de ses avancées dans le cœur de la matière qui la compose, et sans autre espoir que celui de rejoindre l’inanimé, au cœur de toute présence ».

(www.lesgrandslunaires.org)

 

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A propos du rédacteur

Delphine Crahay

 

Lectrice fervente et vorace. Etudiante en lettres – on l’est ad vitam –, enseignante dans un passé révolu, brièvement libraire, bientôt stagiaire dans une maison d’édition. Tient un blog nommé Analectes et brimborions, où l’on trouve des chroniques littéraires et linguistiques, des billets d’humeur, des textes aimés, quelques gribouillages.