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L’écorce rouge, Murielle Compère-Demarcy (par Charles Duttine)

Ecrit par Charles Duttine 04.05.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Poésie, Z4 éditions

L’écorce rouge, Murielle mars 2020, 166 pages, 15 €

Ecrivain(s): Murielle Compère-Demarcy Edition: Z4 éditions

L’écorce rouge, Murielle Compère-Demarcy (par Charles Duttine)

 

Le livre des heures naturelles

Ouvrir un recueil de poésie et écouter la voix d’un poète, c’est abandonner pour un temps l’utilitarisme étriqué et mettre à distance le monde pragmatique dans lequel nous oublions trop souvent l’essentiel de nos vies. C’est aussi écouter une musique singulière, partager l’originalité d’un regard et encore suivre « la magnifique et sauvage déraison » selon le mot de Nietzsche dans Le Gai Savoir. Tout cela, nous le ressentons en abordant le recueil de la poétesse Murielle Compère-Demarcy, L’écorce rouge.

L’ouvrage se présente comme un triptyque. Les textes de L’écorce rouge sont suivis de Prière pour Notre-Dame de Paris (texte de circonstance, s’il en est) et de Hurlement (ce dernier étant dédié à Patti Smith). Il y a dans les poésies de Murielle Compère-Demarcy, qui publie également sous le nom de MCDem, une force d’écriture, une ardeur et une volonté entêtée de marquer sa présence, ce qu’elle appelle le « Vivre » et « l’Ecrire » face au monde. « J’écris, rai de lumière vacant battant des ailes / sur le seuil de la porte obstruée du jour ».

MCDem s’inscrit dans la lignée de poètes comme Cendrars et Artaud, et de même que ses illustres devanciers, les choses de la vie, pour employer une expression triviale, se bousculent, se mêlent et se saluent les unes les autres. La poésie chez MCDem tient une place essentielle, centrale et vitale. Comme Artaud, on ne conçoit pas en la lisant « d’œuvre comme détachée de la vie » (première page de L’Ombilic des Limbes). On comprend pourquoi chez elle la poésie devient « l’Ecrire crié » ou encore « écorce rouge hurlant ». L’écriture poétique prend la forme d’un « Hurle-Lyre » pour reprendre le titre d’un autre de ses ouvrages.

Et quant à la fréquentation des poètes, elle est pour MCDem une « vibration où se sentir vivre ». Et comme on la comprend. Dans le dernier poème du recueil, à propos de la chanteuse américaine Patti Smith, MCDem nous confie que ses mots la « vertige(nt) » et la « structure(nt) ». Ou encore écrit-elle, ce texte : « je le sens, le hume, je le renifle… le prends à pleine tête ».

C’est donc un monde sensuel où le corps est omniprésent que nous révèle une telle poésie. Ainsi dans sa Prière pour Notre-Dame de Paris, visiblement écrit sous le coup d’une émotion vibrante, c’est un « corps-cathédrale » qui appréhende l’évènement du 15 avril de l’an dernier. C’est avec ses « os », ses « veines », sa « tête », son « cœur » qu’elle vit cette dévoration de Notre-Dame par les flammes. « Ma charpente brûle, mon corps est en flammes », écrit-elle.

A côté de l’âpreté de ces passages, les fenêtres de sa poésie sont grandes ouvertes devant l’émergence des saisons. Le livre est d’ailleurs publié dans une collection dirigée par Pierre Lepère, Les 4 saisons. Elle sait nous dire la « nuit totale » qui entoure la maison en hiver, le dévoilement éblouissant du jardin en été, l’automne qui attise « la braise des souvenirs » et le printemps « rieur ». Ce sont de très riches « heures naturelles » qui nous sont offertes. Et ces saisons ne seraient rien sans la présence foisonnante des animaux. On croise, dans la poésie de Murielle Compère-Demarcy, tout un bestiaire qui lui est familier. D’ailleurs, « les bêtes (l’)observent » écrit-elle ; les libellules ces « demoiselle(s) dans l’air », le rouge-gorge et sa « cascade d’or », le pic-vert et son « rire sardonique et saccadé », ou encore les hirondelles des « hiéroglyphes dans le ciel ».

Et enfin, il y a les « herbes folles » qui nous ressemblent et surtout les coquelicots chargés de présence humaine. Ces coquelicots rouges comme la couverture de ce livre et comme un cœur qui palpite lorsqu’elle pense aux charniers de la grande guerre que sa région de Picardie a connus.

 

« Bel été au cœur bleuet de l’Instant

Pleurent les Hommes-Coquelicots

Si la pensée de leurs faits demeure volatile

la mémoire se souvient de la boucherie

des armes

dressées pour décimer

– Obus semeurs de larmes ».

 

En reposant ce recueil et en le mettant dans une place de choix de sa bibliothèque, on se dit qu’on le rouvrira maintes fois et qu’il vous accompagnera dans nos heures essentielles.

 

Charles Duttine

 

Murielle Compère-Demarcy, publiant aussi sous le nom de MCDem, est une poétesse, nouvelliste et auteure de chroniques littéraires, née dans l’Oise en 1968. Très jeune passionnée par la littérature, elle a publié une quinzaine de recueils, chez différents éditeurs. Elle s’oriente vers une écriture expérimentale oralisée en pratiquant notamment des performances de poésies sonores.

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A propos de l'écrivain

Murielle Compère-Demarcy

 

Murielle Compère-Demarcy - publiant aussi sous le nom de MCDem. - est une poétesse, nouvelliste et auteure de chroniques littéraires et d'articles critiques.

Poésie

Atout-cœur, éditions Flammes vives, 2009

Eau-vive des falaises éditions Encres vives, collection Encres Blanches, 2014

Je marche..., poème marché/compté à lire à voix haute, dédié à Jacques Darras, éditions Encres vives, collection encres Blanches, 2014

Coupure d'électricité, éditions du Port d'Attache, 2015

La Falaise effritée du Dire, éditions du Petit Véhicule, Cahier d'art et de littérature, Chiendants, n°78, 2015

Trash fragilité, illustrations de Didier Mélique, éditions Le Citron gare, 2015

Un cri dans le ciel, éditions La Porte, 2015

Je tu mon alterégoïste, couverture de Didier Mélique, préface d'Alain Marc, 2016

Signaux d'existence suivi de La Petite Fille et la Pluie, éditions du Petit Véhicule, 2016

Le Poème en marche, suivi de Le Poème en résistance, éditions du Port d'Attache, 2016

Dans la course, hors circuit, éd. du Tarmac, 2017

Poème-Passeport pour l'Exil, co-écrit avec le photographe-poète Khaled Youssef, éd. Corps Puce, coll. Parole en liberté, 2017

Réédition Dans la course, hors circuit, éd. Tarmac, 2018

... dans la danse de Hurle-Lyre & de Hurlevent..., éd. Encres Vives, coll. Encres Blanches, n°718, 2018

L'Oiseau invisible du Temps, éd. Henry, coll. La Main aux poètes, 2018

Alchimiste du soleil pulvérisé, Z4 Éditions, 2019

Fenêtre ouverte sur la poésie de Luc Vidal, éditions du Petit Véhicule, coll. L'Or du Temps, 2019

Dans les landes de Hurle-Lyre, Z4 Éditions, 2019

L'écorce rouge suivi de Prière pour Notre-Dame de Paris & Hurlement, préface de Jacques Darras, Z4 Editions, coll. Les 4 saisons, 2020

Voyage Grand-Tournesol, avec Khaled Youssef et la participation de Basia Miller, Z4 Éditions, Préface de Chiara de Luca, 2020 [262 p.]

Werner Lambersy, Editions les Vanneaux, 2020

Confinés dans le noir, Éditions du Port d'Attache, illustr. de couverture Jacques Cauda ; 2021

Le soleil n'est pas terminé, Editions Douro, avec photographies de Laurent Boisselier. Préface de Jean-Louis Rambour. Notes sur la poésie de MCDem. de Jean-Yves Guigot. Illustr. de couverture Laurent Boisselier, 2021

L'ange du mascaret Murielle Compère-Demarcy (avec prologue de Laurent Boisselier) aux éditions Henry coll. grand format ; 2022.


A propos du rédacteur

Charles Duttine

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Charles Duttine enseigne les lettres et la philosophie, après avoir étudié à la Sorbonne où il fut notamment élève d’Emmanuel Levinas. Auteur de nombreux récits courts, dont Douze Cordes (Prix Jazz en Velay, 2015), il a publié deux recueils de nouvelles, Folklore, Au Regard des Bêtes et un récit romanesque Henri Beyle et son curieux tourment.

Son dernier ouvrage (deux novellas) L’ivresse de l’eau suivi par De l’art d’être un souillon vient de paraître aux Editions Douro. Il publie régulièrement dans de nombreuses revues littéraires.