Journées de Lyon des auteurs de théâtre 2014 - Rencontre avec David Léon
Les journées de Lyon des auteurs de théâtre constituent désormais un moment phare de la vie et de l’édition du théâtre contemporain. En effet, elles organisent le plus important concours d’écriture dramatique d’expression francophone. Cette année, le jury a retenu six textes dont celui de David Léon, Un jour nous serons humains, publié aux éditions Espaces 34. Le 28 novembre, la médiathèque de Vaise à Lyon accueille David Léon pour une mise en espace de son texte Un jour nous serons humains. A cette occasion, je m’entretiens avec lui de son parcours et de son travail d’auteur dramatique.
Marie du Crest : Tout d’abord, quel sens donnez-vous à votre participation aux journées de Lyon ?
David Léon : C’est la première fois que je participe aux Journées de Lyon. Par le passé, je leur ai envoyé plusieurs de mes textes. L’année dernière, Sauver la peau a été repéré. C’est en tout cas une manifestation importante de la vie théâtrale d’aujourd’hui qui met en lumière mon texte. Cet éclairage permet à la fois une reconnaissance auprès des professionnels mais aussi d’un public élargi. Et cette reconnaissance est relayée au niveau national.
Ce soir, vous allez dire votre texte, comment envisagez-vous le passage de l’écriture du texte à sa mise en forme, sa mise en espace. Comment, l’auteur que vous êtes, travaille sur cette mise en voix ?
Je vais au plus simple : un micro, une lumière sobre suffisent. Ce qui prime en vérité, ce que je place au centre du dispositif, c’est l’écoute du spectateur en jouant sur des intensités de voix différentes. Si je passais à une mise en scène, la lumière donnerait lieu à des textures variées et il y aurait un travail de présence, d’effacement de l’acteur.
Stanislas Nordey a récemment entrepris lui aussi une mise en voix de « Un jour nous serons humains ». Pensez-vous que son approche entre en résonnance avec la vôtre ?
Stanislas Nordey est un fidèle du Théâtre Ouvert et à l’occasion, d’une carte blanche, d’un coup de cœur, il a choisi ce texte. Il avait lu précédemment Sauver la peau. Je pense qu’il y a dans nos deux approches une fraternité, j’entends dans la prise de parole en tant qu’écoute, engagement, pour faire entendre la manière dont le texte est écrit. Nordey n’ajoute pas de couches émotionnelles. Il vise une chose directe. Il y a cette même fraternité avec Hélène Soulié qui met en scène mes pièces, ainsi :Batman, Sauver la peau.
Ne pensez-vous pas que justement le soliloque, si important dans vos textes, ne permette pas de manière profonde cette dimension-là ?
Si, dans la mesure où il s’agit d’approcher en quelque sorte un rapport au public qui serait de l’ordre de la palpation. Mon pari c’est justement de considérer le texte de théâtre comme le roman dans sa réception par le lecteur et le spectateur.
Vos textes ne sont-ils pas surtout poèmes, faisant surgir des voix ?
Effectivement, le théâtre de situation, d’échange de répliques (au sens classique) ne me semble plus possible dans notre monde. Ce qui compte, ce sont les voix qui traversent un personnage, ou des personnages leurs voix intérieures. La dimension poétique existe aussi dans l’écriture romanesque comme chez Duras, Camille Laurens, David Vann. C’est un état de parole que je recherche dans l’écriture.
Pour revenir à « Un jour nous serons humains », pouvez-vous en circonscrire le sens ?
Je remonterai tout d’abord à la genèse du texte. Je travaille en tant qu’éducateur avec des « psychotiques », au lourd passé psychiatrique, stabilisé selon le vocabulaire spécialisé. J’ai, un jour, entendu une femme prononcer cette phrase : un jour nous serons humains, en tendant les mains. Je me suis alors demandé quel texte pour le Théâtre « répondrait » à cette phrase… Quelque temps après, j’ai retrouvé l’équivalent de cette parole dans la Bible et cette coïncidence m’a amené à l’écriture. Ensuite il y a eu les images de la guerre en Syrie, celles des décapitations publiques insoutenables. Et j’ai pensé aussi à nos liens avec les animaux. Deleuze que je cite au début de mon texte dit que l’écrivain est responsable devant les Bêtes et qu’il pousse son langage à un paroxysme, en leur nom. Mon texte est répétitif pour justement chercher à rejoindre le langage animal. Il y a en somme d’un côté la violence humaine, la barbarie, et de l’autre la beauté mutique, celle de l’envol des oiseaux, qui rejoint la dimension mythique, comme la chute d’Icare.
Qu’en est-il dès lors de la folie ?
En fait, je ne me pose pas directement cette question. En apparence la folie ne concernerait que « les malades » mais n’est-elle pas palpable autour de nous, chez les hommes de pouvoir par exemple, dévorés par l’ambition ? Ce qui rend fou c’est, selon moi, l’interdiction de la parole et ce tant au niveau sociétal que dans la part la plus intime des individus. Ce que je recherche dans mes textes, c’est libérer la parole des carcans qui l’enferment ou l’instrumentalisent.
La mère dans Batman précisément ne parle pas mais crie sans cesse. Pourquoi ?
Parce qu’elle annule la parole de l’autre (celle de son fils) mais cela lui permet aussi de faire taire sa propre parole intérieure.
Dans quelles directions s’oriente votre écriture et quels sont vos projets d’écriture ?
Il me faut toujours un catalyseur : une phrase, une image. Je médite ainsi en ce moment sur un propos de Bataille (« de chose l’une ou l’érotisme vient au bout de la parole et la parole viendra à bout de l’érotisme »). Commence une période de latence, de gestation. Des mots émergent, des pages les complètent. Vient ensuite un temps de relecture. Mais cela dépend aussi du texte. Par exemple dans le cas de Un jour, j’avais écrit trois mois avant la rédaction et j’ai redécouvert mon texte et compris ce qui était en jeu : j’ai pu enfin continuer.
Comment avez-vous commencé à écrire ?
Tout a commencé avec Batman même si j’avais rédigé auparavant trois textes qui n’étaient que des brouillons. Les textes antérieurs n’ont donc jamais donné lieu à une édition et je ne reviendrai jamais dessus. Batman était une évidence, tout y était condensé. C’est la même chose avec Sauver la peau.
Quand j’ai lu « Batman », je me suis dit « que faire de plus fort, de plus abouti ? » Est-ce que vous-même, vous avez ressenti cela ?
Ce que je redoute, c’est de ne plus arriver à écrire mais quand ça revient, c’est merveilleux.
Pensez-vous que l’écriture romanesque et l’écriture dramatique soient mises à distance l’une de l’autre ?
Il est vrai qu’aujourd’hui le texte dramatique est immédiatement pensé en termes de réalisation scénique, de production et plus rarement en tant que texte littéraire. Il est toujours considéré comme à part. La création vient en second. Il existe aussi des exemples de passerelle entre littérature et théâtre comme le norvégien, Jon Fosse, ou des romanciers, écrivains, dont on fait matière de théâtre à l’instar d’un Céline.
Ainsi allez-vous rester auteur ou revenir à votre formation initiale de comédien ?
Je ne suis plus comédien dans la mesure où je n’ai absolument plus besoin de participer à la vie de plateau pour écrire. D’ailleurs, je ne prends pas le temps de rechercher des projets en tant que comédien. Etre comédien ne nourrit pas mon travail d’auteur. Mon activité d’éducateur me permet en revanche de rester du côté de l’écriture. Ce qui me passionne, c’est de rencontrer et d’écouter ce que disent les gens. On revient finalement au début, à l’écoute primordiale.
Propos recueillis par Marie du Crest, le 28 novembre 2014 à Lyon
Vous pouvez également vous reporter à un texte sur la mise en espace de Un jour nous serons humainsainsi qu’à une recension sur l’édition du même texte (juillet 2014)
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