Identification

Je connais des îles lointaines, Louis Brauquier (par Philippe Leuckx)

Ecrit par Philippe Leuckx 08.04.19 dans La Une Livres, La Table Ronde - La Petite Vermillon, Les Livres, Critiques, Poésie

Je connais des îles lointaines, mai 2018, 576 pages, 10,50 €

Ecrivain(s): Louis Brauquier Edition: La Table Ronde - La Petite Vermillon

Je connais des îles lointaines, Louis Brauquier (par Philippe Leuckx)

 

Voici les « poésies complètes » d’un fou de Marseille et des voyages, explorateur né des contrées, son travail dans les Messageries Maritimes lui fait humer la mer et les lointains comme personne, à la fois en expert, en poète, en sensuel ouvert à l’autre monde (« la nuit de l’Amérique » ou « le vent d’Egypte (qui) sent le sable »). Mais il n’a pas négligé son port d’attache, sa ville phocéenne, dont il illustre l’âme, les quais, les places, avec ce pointillisme aigu des « souvenirs/ qu’une montée de crépuscule » avive ; et parfois, dans l’odeur d’un café, il fait bon s’arrêter : « asseyons-nous… pour reposer vos yeux/ Je veux que vous tourniez vers l’ombre votre tête ;/ Nous boirons des anis ruisselants et joyeux » (p.129).

Fidèle aux normes classiques, à la prosodie, ouvert à d’autres formes non rimées, comme il l’est assez facilement aux sollicitations du monde : « goût de forêt vierge », « l’insolite a crié pendant la méridienne », ou encore cet amoureux des rencontres renouvelées avec un passé enfui : « Rencontré Guastalla dans la rue Paradis/ où le temps du lycée et plus d’un demi-siècle ?/ Jeune, il avait un doux visage de marrane » (p.432).

L’ami fidèle de Gabriel Audisio sait tutoyer les îles, les « navires : sans faiblir ni se dérouter », avec le talent sûr qui pointe « l’ombre sur les bâches » ou « les toits noirs assis à quai » : un réalisme sans exotisme concerté puisque le voyage donne à décrire le monde comme il va, comme il vient avec ses bruissements, ses amours, ses sensualités, ses paysages, son goût sûr d’une errance :

 

XIII

« Quand je débarquerai après ce long voyage,

Je m’en irai d’abord au hasard dans la ville,

Je n’essaierai pas de me faire reconnaître,

Je ne chercherai pas ceux qui m’ont oublié (p.173)

Nous avons marché côte à côte dans les rues de tant de villes

Que parfois dans notre silence je m’éveille

Et me demande, une seconde, où je suis.

Hélas ! Ce n’est pas la rue de la Douane, à Malmousque,

Ni celle des pharaons dans la blanche Alexandrie,

Ni toutes celles des ports ou des villes dans les terres

Que nous regrettons, bien sûr, puisqu’elles sont le passé » (p.309)

 

Comme chez Larbaud, Pessoa ou Levet (qu’il lit d’ailleurs), le voyage est vecteur d’une connaissance intime, infinie des rouages du grand monde, avec ses rêves (« comment arrime-t-on les rêves ? », p.460), avec ses « rade foraine » et autres « navires sans nombre », de quoi nourrir durablement tout lecteur que fascine l’esprit même des voyages lointains, pour mieux se découvrir.

 

Philippe Leuckx

 


  • Vu : 1852

Réseaux Sociaux

A propos de l'écrivain

Louis Brauquier

 

Louis Brauquier, né à Marseille en 1900. Mort en 1976. Poète, peintre, agent des Messageries maritimes en poste aux quatre coins du monde. L’Académie française l’honora en 1970 d’un Grand Prix de poésie.

A propos du rédacteur

Philippe Leuckx

 

Lire tous les articles de Philippe Leuckx

 

Philippe Leuckx est un écrivain et critique belge né à Havay (Hainaut) le 22 décembre 1955.

 

Rédacteur

Domaines de prédilection : littérature française, italienne, portugaise, japonaise

Genres : romans, poésie, essai

Editeurs : La Table Ronde, Gallimard, Actes sud, Albin Michel, Seuil, Cherche midi, ...