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Griffes 24 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 03.11.25 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Griffes 24 (par Alain Faurieux)

 

Jouer le jeu, Fatima Daas. De l’Olivier. 192p. 20€

Le second roman de Fatima Daas a été très commenté, presse, radios, réseaux. Moins de deux cents pages, une couverture digne d’une IA. Il aura un prix. On partage les émois d’une jeune fille de banlieue sur un peu plus de trois années. Soixante-dix pages l’année c’est donné.  B Nous allons rencontrer la grande sœur sympa, le meilleur copain homo-en-Bac-Pro-Coiffure, la maman courage. Parler un peu du père absent (O.), de rap et de Justin Bieber, de règles et de fast-food. Kayden ayant échappé au CAP découvre en seconde qu’elle peut utiliser le Français pour espérer « plus ». Bons sentiments, pointe d’acidité, on a l’impression de voir un faux jogging Kiabi taillé sur mesure. Ce livre est-il une blague ? Il commence dans un registre niaiseux/bécasse, rédigé dans une langue d’une pauvreté remarquable, une sorte de caricature du livre recommandé par un CDI (la bibliothèque interne des lycées et collèges) sans imagination.

Ensuite cela s’améliore, un peu, ou on s’habitue. Et puis il y a des efforts. C’est le moins que l’on puisse faire si l’on veut être appelé Auteur.e. Quelques changements de personnages et de focalisation, externe, interne, utilisation d’italiques, inserts d’extraits de textes classiques ou Wikipédia, présent omniprésent, passage du temps hyperrapide (à moins de 200 pages il faut faire vite). Les passages écrits par notre lycéenne le sont dans une langue plus soutenue que la narration externe, étrange. Ou moins mal écrits. L’ensemble sonne juste : anecdotes, langage très oral, pas trop dépassé. Est-ce vraiment un éloge suffisant pour un ouvrage littéraire ? Pauvreté narrative, psychologique, relationnelle ; manque d’ampleur, de force, de tout. Ce livre serait la dénonciation d’un pouvoir exercé sur Kayden, une critique du jeu à jouer (mais oui, le titre !) pour être accepté par la société. Ah bon ? Car Kayden va pendant trois ans être attirée par sa prof de français (3 ans c’est très REP), une attirance que Garance (sic) utilisera pour la conduire vers un oral humiliant, puisque classiste, voir racisé, d’entrée à Sciences Po. La chose se termine sur les plus mauvaises pages que j’ai pu lire depuis longtemps. Je crois qu’elles sont censées marquer la fin de l’emprise de cette adulte irresponsable qui aura commis l’irréparable. Quelque chose comme éveiller la sensualité d’une ado sans jamais lui donner une confirmation ou un refus de sa propre relation sentimentalo-sexuelle à celle qui était son élève.

Bien sûr ceci peut être lu par tous et toutes. Écrit comme une looongue rédaction de terminale littéraire, la sexualité n’y est évoquée que par un étrange sentiment dans le ventre, les homos s’invitent à manger en famille, les vacances scolaires sont évacuées dans un no-man’s land, la violence est uniquement systémique…aucune tensions raciales, homophobes, religieuses.

Je m’étais pris, quelques variations d’accords d’adjectifs dans un même chapitre aidant (j’étais arrivé, accroupi, concentré, content…), à lire plus dans le personnage de Kayden, un garçon se voulant/étant fille, une sexualité fluide…mais non. Ce devait être trop transgressif.

Prix navet perso.

 

Un Amour Infini, Ghislaine Dunant.2025. Albin Michel,176p. 19,90€

 

Ce petit livre aura sûrement un prix. Pour la bonne intention. Pour la bienveillance. Et puis il y a tellement de prix. Un homme rencontre une femme, des portes s’ouvrent. Ils ne se reverront jamais. Mais c’est un amour infini. Pourtant les premières pages m’ont donné envie de poursuivre. Un style, un vrai.  Des phrases courtes, très courtes. Beaucoup de ponctuation, un regard clinique, des non-dits, ellipses, complétives déplacées) qui préfigurent les interrogations auxquelles les personnages seront confrontés. J’ai pensé à Saraute, Sagan, envisagé Tenerife comme Saint Tropez. Et puis le soufflé est retombé, on se promène, dans tous les sens du terme, sur un terrain rebattu. Le style est bien là, dissimulant l’important, camouflant le souffle, mais souvent, beaucoup trop souvent on rencontre une tournure qui grince, des possessifs malheureux : « – Volontiers d’aller y marcher. » ; « Quand il s’est réveillé, ses yeux voyaient le ciel nettement, constellé d’étoiles, il les voyait beaucoup plus nettement qu’enfant lorsque son père les lui désignait, lui apprenait à distinguer les constellations depuis la terrasse à l’arrière de leur appartement. Il tenait sa main, son père parlait. »

Pourquoi écrire si vite, ne pas relire, et relire encore ; pourquoi ne pas peaufiner ce qui aurait pu être plus fort, plus subtil. « Je suis arrivé devant une grande circonférence et ses rayons, tracés en pierres blanches sur la terre et l’herbe. »

Et puis vient une deuxième perception du récit : en fait notre non-héroïne est ensevelie sous une admiration niaiseuse pour l’homme-qui-sait : « Elle a rapidement perçu son savoir étendu, c’était rassurant à côtoyer. »

Les promenades ont quand même, il faut l’avouer, un certain parfum de carnets de voyage, un charme de déliant touristique. Nous avons même droit à la tarte à la crème de La Jeune Fille à la Perle, dont la douce présence doit agrémenter au moins un volume par an depuis une décennie. Et lui, le bedonnant astrophysicien aux connaissances encyclopédiques (géologie, histoire, langues, rien ne lui résiste), a la particularité de délivrer des répliques de vulgarisation plus barbantes que votre voisin un jour de barbecue. Pourquoi d’ailleurs situer ce livre en 1964 ? Une catastrophe est évoquée. Loin d’ici, dans un Maroc où des ouvriers meurent pour une entreprise Française. Franco est bien loin aussi. Tous les détails sonnent juste, l’ensemble sonne faux. Une île, ni l’Afrique, ni l’Europe, et encore moins les États-Unis. Une parenthèse, avec des allusions aux Ganches, les anciens habitants tous disparus depuis longtemps. Oui, oui, on comprend le message. J’aime Tenerife, j’aime beaucoup le concert qu’y ont enregistré Tangerine Dream et Brian May (oui, le membre de Queen docteur en…astrophysique). Je suis un cœur d’artichaut, j’aime les histoires d’amour. J’aime les livres qui apportent du nouveau, du fort, qui grattent, frappent, dérangent. Et nous avons là Rencontre avec Monsieur Wikipédia : « Les paysages sont très contrastés sur un espace restreint, l’île a quatre-vingts kilomètres de long sur cinquante kilomètres dans sa plus grande largeur. Son volcan, le Teide, est le plus haut sommet d’Espagne. Les marins ont l’habitude de l’apercevoir depuis la haute mer. Il y a des vallées fertiles, le paysage désertique des anciens volcans et une forêt primaire, au nord. »

Prix du guide grand public.

 

 

Le Bel Obscur, Caroline Lamarche. 2025, Seuil. 240 p. 20€

Quelle était l’intention de Caroline Lamarche ? Montrer à son éditeur qu’elle n’est pas un auteur has-been, montrer au petit monde parisien qu’elle a maitrisé les codes indispensables à une course aux prix ? Mystère. Le récit qui nous est fait devrait être mouvements, va-et-vient, amoureux, temporels, sociaux. Rien de tout cela. Une eau stagnante. Encore un livre sur la famille, ses secrets, ses douleurs. Un ancêtre homosexuel utilisé comme allégorie ou parabole du couple formé par Caroline et Vincent. Mais dieu, quel ennui. Le style de Lamarche ressemble à un lotissement de la fin du siècle dernier : fonctionnel, propret, sans surprises. Quelques pages (généralement des objets, un paysage, une description) sont moins ternes, voire jolies. D’autres atrocement vulgarisatrices. Et quelquefois agressivement niaises: « Il ne fallait pas que je respire profondément, surtout pas, il y avait un couteau fiché dans mon cœur que je ne devais pas bouger, cela m’aurait fait trop mal, on m’aurait entendue crier aux quatre coins du pays, on m’aurait enfermée à cause de ce cri en forme de couteau qui aurait risqué de trancher l’espace en deux, les gens auraient eu peur de moi, une vraie peur que personne ne peut se permettre, alors il ne fallait pas que je respire, surtout pas, il fallait fermer les issues, obstruer, boucher, colmater, éteindre. »

Là où le sujet nécessitait un style, une patte, l’auteure nous trace un parcours étriqué, une vision de myope. Le sujet ? (Avec moult name-dropping sur les femmes d’homosexuels au cours des âges et de la littérature, de Vita Sackville-West à l’épouse de Jules Vernes) Une femme hétérosexuelle forme un couple différent avec un homme homosexuel. Lui accueille ses amants chez eux, elle est conduite par sa condition de femme à rencontrer ses amants ailleurs. Mais ils s’aiment à leur façon, jusqu’à ce que le livre me tombe des mains. Non, j’ai poursuivi mais je ne dévoilerai pas la fin. Les retours textuels vers la vie et la mort d’Edmond (l’ancêtre inverti) apparaissent à une régularité qui sent la grille de construction soignée comme une haie de parcelle. Les reprises, anecdotes, objets ou lexique, parsèment le tout en recette éculée. Moins d’insistance sur les recherches généalogiques que chez des confrères de cette rentrée, mais une sorte de trottinement fatigué autour du patrimoine familial. J’adore les livres-monde et ici nous avons un livre-nombril. Un point positif : j’ai appris un mot belge (endéans). Je ne suis pas sûr que ce soit suffisant pour sauver ce pensum. Tout au long de ces pages le soupçon grandit, Lamarche a-t-elle écrit ces mémoires/roman-journal (plus Clairefontaine grands carreaux petit format qu’autofiction), pour nous démontrer, avec insistance et poing sur le cœur, qu’elle n’est pas restée à l’écart des grands mouvements du XXIème siècle ? « …cette libraire était un être pour qui il eût fallu inventer de nouveaux articles qui pulvérisent les genres (à l’époque je n’assimilais le mot « genre » qu’à la grammaire, il ou elle). »

La nécessaire auto-flagellation/félicitation éclipsant bien sûr un souci d’écriture. Trop rétrograde et bourgeois. Même si la vie de notre couple « différent » n’est que cela. Je ne suis toujours pas sûr qu’il y ait une quelconque ironie dans ce passage : « La répudiation de l’hétéro-patriarcat au profit de l’imprévu, du bizarre, du refus des assignations, bref, du queer (j’adorais et enviais ce mot), était la chose la plus désirable pour une femme élevée comme je l’avais été. »

Quelquefois la chair est triste, quelquefois le livre est triste.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.