Griffes 14 (par Alain Faurieux)
Madelaine avant l’aube, Sandrine Collette, éditions JC Lattès, août 2024, 252 pages, 20 €
Sandrine Collette m’étant inconnue, je projetais un contenu régionaliste, voire Canadien. Couverture Club des Lecteurs : jolie petite fille sur la joue de laquelle on a tracé quelques lignes boueuses mais élégantes, vent dans les cheveux et regard sérieux, sourcils froncés, vers un futur encore à préciser. Un côté campagnard, pull fait main, une brindille, des bleus des verts, un fond flou. La photo (car c’est une photo, ce qui rend les premières pages plus difficiles à situer) n’utilise que la moitié de l’espace. Nulle part, nul temps. Le premier chapitre (de cinq, tout très court) engage mal l’affaire : intitulé « prologue » nous voyons tout de suite qu’il se passe en fait bien après tous les événements importants qui vont nous être rapportés, il en est la conséquence. Par-dessus la trame historique (?) l’auteur ne rechigne pas à utiliser les poncifs du polar. Avec Cut directorial pour le suspense.
Nous sommes nulle part donc, bientôt de l’autre côté du plus petit fleuve d’on ne sait où, à une époque improbable. Oh, le PPF (le plus petit fleuve) s’appelle le Basilic. Enfin bref, ça commence mal. Puis ça va mieux : Collette SAIT raconter une histoire, nous propose même un superbe et inattendu changement de narrateur à mi-chemin. On doit finalement être dans un passé quelconque (fin XXVIIIème ?). Belles descriptions d’une vie au ras des sillons. Bon, les Maîtres sont méchants (ou pire) et les paysans incultes et perdants-nés. La condition est dure, les saisons impitoyables. Les dernières pages donnent à penser que Collette n’a pas vraiment su comment se débarrasser de son personnage central. Livre embarrassant. Car bien écrit. Comme on dit c’est bien fait d’un panier en jonc dont on n’a ni l’envie ni l’usage et que vient de vous offrir une voisine de retour des Saintes-Maries-de-la-Mer.
La désinvolture est une bien belle chose, Philippe Jaenada, Mialet-Barrault Eds, août 2024, 496 pages, 22 €
Début des années cinquante, une jeune défenestrée et des personnages typiquement atypiques. Encore un bouquin dans lequel l’auteur nous montre (se montre en train de…) qu’il écrit un livre. Je l’imagine avec ses tas de papiers, ses fiches, peut-être un tableau mural avec des flèches, ou des fils et des punaises, des photos…
Pour ne pas nous lasser (peine perdue), il rajoute de la psychogéographie (Debord est en marge du récit). Une recherche du temps perdu (Céleste, la vraie, est évoquée) en un tour de France qui lui donnera l’occasion de décrire de charmantes, ou moins, ou pas, petites villes. Leurs bars et pizzerias, hôtels et whiskys. Il rajoute aussi des apartés à foison, des considérations sur la route, les GPS, la météo ou Jacques Tati. C’est terrible. On est enseveli, on manque d’air. On se croit VRP (soyons vintage). Ceci dit, techniquement il a dû s’appliquer le gars. Parce que tout d’abord il nous replace l’événement (la défenestration) dans le contexte et nous donne l’ouvrage/les photos ayant tout déclenché. Par la suite il nous racontera les relations entre les uns et les autres, la généalogie de chacun, leurs activités dans la période, leurs activités ensuite, leur fin. Tout ceci s’intercalant de façon construite mais non chronologique dans les étapes de son tour de France. Avec des aller-retours plus fréquents vers Kaki (la défenestrée). Avec des aperçus de l’Histoire. Avec des dernières pages sur les lieux mêmes, condensant en vingt-trois jours (ou vingt-quatre) l’année (ou plus) de recherche… Bien sûr Jaenada nous parle aussi de sa jeunesse, son amour, ses autres livres, etc. etc. Un extrait peut peut-être résumer mon ressenti :
« Du bazar trouble de tous ces articles de presse émerge une photo, une très belle photo de Kaki, sur une terrasse ou un balcon en étage élevé, qui domine Paris (le Panthéon en arrière-plan, ou l’église Saint-Augustin plus probablement, loin, sur l’autre rive), en chemise claire aux manches retroussées et jupe fourreau (je crois – ou crayon ?) sombre, avec une fermeture Éclair sur le côté ; les cheveux juste au-dessus des épaules, très mince, adossée à un coin de la balustrade, une main sur chacun des côtés, elle regarde droit devant elle, tourne le dos à Paris et esquisse un sourire, léger ».
Une très belle photo écrit-il. Regardez maintenant la couverture. Concluez.
P.S. Noir Désir 1992
… … …
Nous pourrons parler
Alors soyons désinvoltes
N’ayons l’air de rien
Soyons désinvoltes
N’ayons l’air de rien
Soyons désinvoltes
N’ayons l’air de rien
Soyons désinvoltes
N’ayons l’air de rien
Brest, de brume et de feu, Philippe Le Guillou, Gallimard, février 2024, 416 pages, 22 €
Suis-je paranoïaque ? Complotiste ? Y a-t-il un agenda caché des éditeurs ?
Prenons l’exemple de Brest, de brume et de feu de Philippe Le Guillou. J’y retrouve, simplement cité puis jouant l’énervé lors d’un “événement” (n’exagérons rien) Robbe-Grillet, le noyau central du Aucun Respect d’Emmanuelle Lambert. Brest rasée par les alliés et un peu les allemands ? Zut, J’ai fini il y a peu Jour de Ressac de Maëlys de Kerangal (ok, c’était Le Havre). Une histoire reconstituée, carnets, documents officiels, diplômes… j’ai eu ma dose avec La désinvolture est une bien belle chose de Jaenada. Marcel (celui des promenades à Combray), Mort à Venise, Saint-Pol-Roux, Fernandez et les autres ? On n’a pas l’impression de croiser ici des auteurs vivants (qu’ils soient vivants ou morts), mais des totems, des offrandes empaillées, des figures embaumées. On croise des gages donnés à un groupe qui « possède » La Littérature. Loin de ceux-là règnent les Dragons. Pas vraiment des clichés, on est plutôt dans l’imagerie religieuse.
Rendons à Le Guillou ce qui n’appartient qu’à Le Guillou : de très belles pages sur la pluie, la pierre ; de très belles pages sur l’amour, l’amitié et les sentiments entre les deux. De belles pages aussi sur l’appartenance à un lieu, sur le face à face avec la mort. Mais encore une, une seule, mention de Querelle de Brest (avec guillemets ou sans) et je me sauve en courant. Des petits règlements de comptes (Rennes 2), des renvois d’ascenseur et de l’auto félicitation. Et des passages absolument ridicules :
« – Entrez, dit Antonin en me tendant une coupe de champagne. Je vois que vous êtes comme moi : je ne me lasse pas de la rivière, de sa lumière qui change sans cesse. Je ne sais pas comment je ferai lorsqu’il me faudra rendre le manoir. J’ai parfois envie de faire durer le tournage. Acheter ce manoir, qui, d’ailleurs, n’est pas à vendre serait au-dessus de mes moyens… ».
Et/ou des pages confites d’un conformisme étouffant, d’un académisme corseté où j’ai vainement cherché la plus petite trace d’ironie, la moindre liberté.
« C’est dans ce contexte que le veilleur de la France éternelle, celui qui a parlé depuis Londres et entretenu la flamme du combat salutaire et de l’insoumission, arrive à Brest le samedi 21 juillet 1945, en sa qualité de chef du gouvernement provisoire de la République. Il est le premier et le plus prestigieux d’une série d’inspecteurs des ruines, pour reprendre le beau titre d’un roman peu connu d’Elsa Triolet ».
Sainte autofiction, variante sur le JE de Tesson et tant d’autres. Je pardonnais une nostalgie un peu poussiéreuse à un auteur approchant les quatre-vingts ans.
« Comme cette ville est plaisante, pittoresque, pleine d’imprévus, de gens savoureux, de moments de grâce ! Et cependant la menace est là, la guerre n’est pas une chimère, c’est une réalité terrible : oui, la guerre peut revenir ».
J’en ressors avec l’impression que j’aurais pu trouver son livre dans la maie (oui, ce meuble ou l’on rangeait /pétrissait la farine dans des temps très anciens) où avaient été jetés en vrac les livres de mes oncles. De Mauriac à Mandiargues et Montherlant en passant par Claudel. Et que j’ai dévorés il y a un demi-siècle. Mais surprise : je découvre que Philippe est né une année avant moi, que l’on a tous deux passé le bac en 1977 ! Peu importe que notre narrateur si secret, si engoncé dans sa sexualité (je m’en contrefous) soit en fait le prédateur sexuel d’un gamin de seconde (mon ami X est parti vivre sa/leur vie avec notre prof. d’économie), ce n’est pas ce moment de son livre qui me coince, c’est comment son écriture louvoie, effleure, dissimule. Pas par délicatesse ou subtilité, mais par une sorte d’anachronisme pudibond, une peur sociale que l’on aurait cru disparue en 2024. Un roman pour fonctionnaires. La respectabilité en calvaire.
Alain Faurieux
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