Fête des pères – Jean-Michel Olivier (par Philippe Chauché)
Fête des pères – Jean-Michel Olivier – Editions de l’Aire – Serge Safran – 384 p. – 18/11/22 – 21 euros
« Aujourd’hui, on n’a pas besoin de tuer le père. La société s’en charge. Beaucoup de monde le guette au tournant. On l’épie nuit et jour, on lui tombe dessus au moindre faux-pas. Depuis longtemps, il a perdu ses privilèges et ses passe-droits – sa place royale sur l’échiquier.
Exit le père. Exit le nom.
Bienvenue aux fantômes. »
Fête des pères est le roman d’un père et de son enfant, dont il grapille quelques instants partagés après son divorce. L’enfant est sa boussole, celle qui n’indique ni le nord, ni le sud, mais simplement la vie. Une vie sans repères avant que l’enfant n’advienne. Une vie sur les planches des théâtres, dans les décors des films où il joue, derrière les écrans où défilent les acteurs américains qui désormais auront sa voix.
Une vie de conquêtes et de défaites, une vie de funambule, une vie comme un roman sombre, comme un film noir qui finit dans le sang et la boue. Jean-Michel Olivier va nous plonger dans la vie romancée de Damien Maistre, une vie de bohème avant qu’il ne rencontre Leslie sa belle américaine. Et puis l’Histoire va s’accélérer, un nouveau président américain est élu, le grand type au toupet mandarine, qui fait hurler Leslie, tout cela avant « l’explosion nucléaire », et la condamnation à devenir un père du dimanche, un demi-père, un père à temps partiel. Ce roman est celui d’un père du dimanche, qui compte les heures qu’il passe avec son enfant, avant qu’il ne le rende à sa mère, elle parlerait quant à elle de restitution, tant elle se sent propriétaire de son enfant. Fête des pères devrait irriter les néo-féministes, amies du bien et de la déconstruction des mâles, et par là-même, celle de la langue française, que Jean-Michel Olivier manie avec vivacité et passion. Fête des pères est aussi un roman de la fuite à moto père et de son fils, de la traversée de la Manche, vers l’Irlande sur les traces de son ami Nicolas Bouvier, autre aventurier du possible, de l’impossible, des justes sensations et des justes mots. Une fuite sans issue, pour le plaisir de partager cette aventure avec l’enfant, sous la protection de Nicolas Bouvier et d’armes de poing. La fuite est inévitable, il n’a pas ramené l’enfant à sa mère, il a abattu un trafiquant de drogue, récupéré beaucoup d’argent mal gagné, perdu tout espoir de triompher au cinéma et au théâtre. C’est désormais un père traqué.
« J’ai repris le guidon, sous un soleil écrasant, en essayant de faire le vide dans ma tête. Mais impossible. Plus je chassais Leslie de mon esprit, et plus elle s’y installait, les jambes croisées, fumant une cigarette, avec son regard sarcastique, comme si elle était chez elle. Et j’entendais ses cris au téléphone. Rends-moi mon enfant. Tu n’as pas le droit de le prendre. Je te ferai la peau. Je roulais sur la route mouillée en revivant les pires scènes de notre amour. »
Jean-Michel Olivier croit à la force profonde du roman, de l’art romanesque, de celui de laisser le réel entrer sans effraction dans le roman. Fête des pères se livre par vignettes, de courts chapitres serrés, vifs, brillants, troublants, vus de l’œil de Damien Maistre, pour une part, et de ce celui d’un observateur privilégié pour l’autre part, le tout s’articulant avec toute la finesse d’un écrivain qui croit au récit, au subtil déroulé du temps romanesque. Il nous plonge dans un roman aux multiples facettes, de la comédie au drame, de la dérive à l’aventure, de Paris à une ferme irlandaise où vit Emma Flaherty, en souvenir peut-être Robert Flaherty le réalisateur de l’homme d’Aran, nouveau clin d’œil à Nicolas Bouvier, mais ces références ne s’imposent pas, elles coulent de source romanesque, et s’invitent comme les personnages qui peuplent ce roman. Fête des pères est un roman naturaliste romanesque, comme le sont les films de Robert Flaherty et les livres de Nicolas Bouvier. Avec de tels pères en littérature et en cinématographe, on ne peut qu’offrir un beau et troublant roman.
Philippe Chauché
Jean-Michel Olivier entre en littérature en 1981 avec Lautréamont : le texte du vampire, puis ce sera notamment Le Voyage en hiver, L’enfant secret, Passion noire, Éloge des fantômes (L’Âge d’homme) et Lucie d’enfer, Conte noir (Editions de Fallois)
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