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Coups de griffes N°8 (par Alain Faurieux)

le 27.05.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Coups de griffes N°8 (par Alain Faurieux)

 

Meurs ressuscite, Albane Prouvost, POL, 2015, 64 pages, 10 €

Merci à M.D pour m’avoir, par curiosité et esprit de contradiction, mené à Albane P. Ça a fait ma journée diraient les anglais. Aurais-je dû rire très fort pendant cette lecture ? Jeter des choses à terre ? Prendre comme témoin du ridicule un passant sur la route ? Je ne suis pas si plouc pour ne pas avoir compris « l’intention »… Le manque, la mort, l’absence. Et puis la blancheur/la neige (la page), la Russie et ses poètes, les peintres, gna-gna-gna. Trente pages en fait (la blancheur et tout ça, ça prend de la place ma chère). Quinze ans pour ça : c’est dur être poète ! Alors que m’a-t-il manqué ? Parce qu’après tout me direz vous, la poésie c’est un ressenti, une liberté. Chacun sa définition. Il m’a donc manqué un jeu, un plaisir des mots, un amour de ceux-ci, une découverte, de la beauté, de la force, ou de la violence, de la provocation, de la surprise, des sentiments, ou une vision, des possibilités. A la place le vivier lexical d’un pays en proie à la famine, un patchwork bancal. Des bouts de catalogue de jardinerie mal découpés collés sur un vieux carton en lieu et place de Chagall ou Matisse. M’a manqué une voix, reste un bafouillement. M’a manqué un rythme, un pas (la neige appelle au moins une trace). Reste rien.

J’ai beaucoup hésité, mais voici un extrait (multiplié par 55 c’est un tout)

un pommier accepte-t-il

puis sauvagement il accepte

accepte poirier

accepte puisque tu acceptes

les poiriers sont tous bons

ainsi accepte

cher compatible tu me manques tu me manques tellement

P.S. Il s’agit là d’un des meilleurs passages, riche en vocabulaire et essentiel à la compréhension de l’œuvre.

 

La Quête des livres-Monde, Tome 1 Le livre des Ames, Carin Rozenfeld, 2008, Intervista ; puis 2018, L’Atalante, 300 pages 14 €

On peut écrire de beaux livres pour enfants (cf. l’admirable La Passe-Miroir de Christelle Dabos) mais là on en est loin. Tout m’a fait grincer des dents dans cette pitoyable soupette. L’intrigue 70s (autre monde, transferts de corps, reconstruire dit-elle), les personnages transparents, le tirage à la ligne constant (à la fin du premier volume il ne s’est en fait presque rien passé), l’ancrage inexistant (ville, appartements, école… tout est non décrit, passe-partout). Le passage le plus intéressant est sans doute celui on l’on se demande si vraiment une terminale peut sortir avec un troisième. On a l’impression d’un livre écrit pour être offert avec un plein d’essence ou un Mac Do, et lu sur un téléphone. Si je cherche une chose positive, quelque chose, à dire sur ce livre… je ne trouve RIEN. Evidemment, je ne lirai pas les tomes 2 et 3.

 

Fille en colère sur un banc de pierre, Véronique Ovaldé, Flammarion, 2023, 320 pages, Poche 8 €

Pas mal. Pas MAL. Une histoire familiale tordue (un peu, restons honnête), du dépaysement, des personnages féminins (paraît que c’est plus vendeur). Un ton : une histoire entre amis et coups d’œil de l’auteur vers le lecteur. On sautille, on ironise, on fait dans le familier, le léger, l’humour entre soi. Il y a le carnaval, le soleil, l’idiot du village et l’héritage, la rébellion ado et l’adultère light. L’écriture ? C’est léger, simple et coloré. Un peu léger quand même, lexique banal et construction bon marché. Ni le lieu ni les personnages n’ont une existence réelle, on est là comme descendus d’une croisière méditerranéenne, à écouter un guide venu de Besançon nous raconter une histoire locale pondue à Juvisy. C’est pas mal et on s’en fout un peu ; c’est comme lire un article chez le dentiste ou le contrôle technique : ça passe le temps. Est-ce suffisant ? Je préfère l’article sur la succession Delon.

 

Kilomètre Zéro, Maud Ankaoua, Ed. Eyrolles, 2017, Poche 2019, 384 pages, 10,37 €

Pourquoi parler de ce livre ? Réponse en fin de page.

P… Comment réagir à un tel livre ? Car c’est un livre. Il a une couverture (hideuse), une table des matières, une auteure avouée. Un roman ? Ça en emprunte la forme. Mais on est plus là dans le marketing pour papier WC. L’auteure/narratrice s’envole pour l’Himalaya chercher LE livre de sagesse (qui vient d’être écrit par un occidental) qui sauvera son amie cancéreuse. Faut oser. Le procédé est vieillot : des personnages/prétextes sans épaisseur véhiculent le message de l’auteur dans des dialogues pesants, des allégories ridicules ou des anecdotes enfantines. Tout ceci dans un décor « exotique ». Le style quant à lui (non, pas le style, il est inexistant), l’écriture est honteuse. Réellement honteuse : « amusé : Tu as prolongé notre conversation avec ton cerveau hier soir. Il ne t’a pas lâchée de la nuit. C’est pour ça que tu te sens anxieuse ce matin. Le plus difficile sera de le dompter et de bien lui rappeler qui commande ! ». Il ponctua sa phrase d’un clin d’œil. « Nous devons partir, la route est longue, il nous faut arriver à Australian Camp avant la nuit ». Ou encore : « Shanti m’invita à me redresser pour faire une expérience. Ferme les yeux et enchaîne cinq respirations profondes. Pense maintenant au mot “douleur”. Il se tut une minute. “Prononce ce mot trois fois en t’imprégnant des sensations qu’il procure. Peux-tu me décrire ce que tu ressens ?”. Je pris un moment. “Je sens mon corps se raidir, mon visage se crisper, mon cœur s’accélérer, mon thorax se fermer, mes muscles se tendre, des sueurs…”. Shanti écouta sans intervenir jusqu’à ce que je ne trouve plus rien à ajouter. Maintenant, pense au mot “plénitude”. Prononce-le trois fois. Après un moment de réflexion, je décrivis mes sensations : “Je sens mon corps devenir léger, comme inexistant, sans résistance, ma respiration est lente, je laisse la lumière me pénétrer, je suis heureuse, remplie d’une belle énergie”. Je savourai ce ressenti ».

La forme est pitoyable mais le fond est pire. Un ramassis de clichés éculés, de restes faisandés, de tartes à la crème ramassées dans le caniveau. L’outil rêvé pour LE stage de votre choix, ou même de l’auto-formation. Inutile de souligner l’incohérence du propos, l’inexistence d’un quelconque système. Le principal est d’afficher une belle assurance au moment de vendre la soupe. Peu importent les inventions, mensonges ou affabulations. « Apparemment, depuis une décennie, les médecines alternatives utilisaient l’énergie vitale pour soigner différents types de maladies ». Chaque phrase amène la même réaction : quels types de maladies ? Quelles médecines alternatives ? Et c’est quoi l’énergie vitale ? Bon, j’admets, c’est quelquefois important et profond : « En bref, il a identifié deux états possibles dans notre quotidien : celui de la Peur et celui de l’Amour ». Voire très profond : « Nous tentons de mettre en place un protocole de guérison en modifiant l’état psychologique par effet inversé ». La narratrice tombe également amoureuse du seul européen de sa tranche d’âge croisant son chemin himalayen. Juste pour dire.

Littérairement pourri, intellectuellement gerbant. A ranger dans le rayon arnaque. Les distributeurs les plus honnêtes l’ont étiqueté Roman de Développement Personnel. Et ça se vend.

Le million d’exemplaires a été dépassé.

 

Alain Faurieux



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