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Coups de griffes 5 (par Alain Faurieux)

Ecrit par Alain Faurieux le 08.02.24 dans La Une CED, Les Chroniques, Les Livres

Coups de griffes 5 (par Alain Faurieux)

 

Avec les Fées, Sylvain Tesson, Éditions des Équateurs, janvier 2024, 224 pages, 21 €

Pas de mensonge chez Tesson. La posture de l’homme, de l’œuvre, est tout entière dans la couverture. Focus sur le gars qui lit, perché face à la mer déchaînée. On peut lire Tesson et penser à Hegel et Chateaubriand, bien sûr, et aussi à Hugo, ou encore à la prochaine lessive. Nous voilà avec le pendant masculin des Ernaux, Coulon & Co. Je peux enfin dire qu’un livre m’a gonflé sans être accusé de sexisme. Nombrilisme forcené, joli sens de l’esbroufe, du marketing soft et de comment caresser dans le sens du poil. Tesson est, se veut, un enfant du siècle. Duquel est une autre histoire. Que reprocher à notre super-héros gaulois ? Dans une construction globalement classique (Invention de l’esprit Celte > voyage (semi-)initiatique > résolution), l’écriture ne rechigne devant rien. Tesson entasse majuscules, citations, notions, italiques, guillemets et références (littéraires, philosophiques, mystiques, historiques et géographiques).

Entasse ensuite les termes techniques ; mais oui bon sang le livre du semestre fait la part belle au bateau. Entasse les effets pas cher, ironie, humour, provoc’ ; les souvenirs et l’auto-analyse, les effets de réel et les paragraphes poétiques. Quelques pages, rares, où notre pesant narrateur s’efface, sont superbes. Loin de London, ou même Monfreid (restons Français), Tesson ne parle jamais que de lui-même. L’homme bâtit sa propre mythologie : « Je me souvenais de mes jours à bord d’une frégate de surveillance, dans la mer des Antilles, à mes embarquements au milieu de l’océan Indien à bord d’un ravitailleur. Je me revoyais tenant le quart sur le pont d’une goélette dans les eaux étales de la mer de Baffin, à la barre en pleine Transat au large des Canaries, en mer Égée, en mer Ionienne, en mer de Ross, à la table du pacha d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins terribles ».

Ah ! Et que dire en rapport avec « la » fameuse polémique ? Quelques lignes (vers la fin, pas très bonnes) sur Français et Royauté sont plus réac’-en-shorts que dangereux facho. A part ça… pas la peine de sortir les fouets pour le (faux) chat de gouttière. Avec les Fées est bien gentil, comme on dit par ici. Bien gentil est un sacré dépréciatif.

 

La Panthère des Neiges, Sylvain Tesson, Folio, 2021, 192 pages. 8,30 €

Me sentant un peu coupable de n’avoir point aimé Avec les Fées, j’ai persévéré.

Comment ne pas aimer La Panthère des Neiges ? De l’humour : « Comme les monitrices tyroliennes, la panthère des neiges fait l’amour dans des paysages blancs ». En UNE seule phrase de l’émotion, de l’exotisme et de la grammaire assumée : « Si ma mère l’avait dicté j’aurais aimé que nous allassions déposer son corps dans un repli des Kunlun ». Du mysticisme : « Je venais de le comprendre : le jardin de l’homme est peuplé de présences. Elles ne nous veulent pas de mal, mais elles nous tiennent à l’œil ». De la beauté pure : « La vie explosait. Les oiseaux ne troublaient pas le génie des lieux. Appartenant à ce monde, ils n’en brisaient pas l’ordre. C’était la beauté ». Mais surtout la vérité d’un homme (réunissant tout cela) : « Jusqu’alors, j’avais couru de la Yakoutie à la Seine-et-Oise, obéissant à trois principes : L’imprévu ne venant jamais à soi, il faut le traquer partout. Le mouvement féconde l’inspiration. L’ennui court moins vite qu’un homme pressé ».

Comment ne pas aimer ?

 

La Faiseuse d’étoiles, Mélissa Da Costa, Le Livre de Poche, 2023, 192 pages, 7,70 €

La liste édifiante des plus gros vendeurs de livres français m’a permis de me rendre compte que je n’avais jamais lu Mélissa Da Costa. Chose faite, mais vous n’aurez aucun extrait de ce petit volume car tout y est du même tonneau. L’indigestion par excellence. Revenons à notre mouton dirait St-Exupéry qui s’y connaissait en indigestion. Plus de chantilly, crème fouettée, sauce chocolat, pastels, cul-cuteries, impossible. Et tant pis si dire que c’est à vomir c’est se voir accuser de renier l’UNICEF, détester les petits enfants, favoriser le cancer (jamais nommé) et plus si affinités. Le pitch : maman mourante ment à sa cht’tite progéniture de 5 ans en lui disant qu’elle va sur Uranus, il le prend mal quand le mensonge originel est dévoilé à ses sept ans, puis s’éloigne de son père à quatorze. Mais quand, par une poétique symétrie, il devient père de la continuation de sa mère (ce qu’est apparemment aussi sa femme) quatorze ans plus tard, tout s’arrange. Ajouter à cela que maman était illustratrice. Ça mange pas de pain. Toujours symétriquement, la première moitié de l’œuvre (80 pages, quand même !) est écrite par le narrateur adulte à la super-mémoire avec le vocabulaire (totalement improbable) et la vision innocente (comme dans innocent du village) d’un enfant de 5 ans. La littérature Française avec un grand C a trouvé en Da Costa l’équivalent papier des enfoirés : vendre de la M. à ceux que l’on méprise en prétendant que l’on SAIT qu’ils aiment ça. Ai-je dit que Mélissa Da Costa est LA plus grosse vendeuse de cette liste ?

 

Du Même bois, Marion Fayolle, Gallimard, janvier 2024, 128 pages, 16,50 €, 45 minutes

En extrait j’ai dû choisir entre un exemple d’erreur syntaxique et un exemple des plus belles lignes. Voici les plus belles lignes :

« Le visage de la mémé est patiné par le vent et le soleil, ses hanches rembourrées par le fromage et la bonne viande de la ferme. Le paysage déborde sur elle, elle n’aurait pas pu vivre ailleurs. Elle a la même silhouette que le prunier du jardin, celui qui croule sous trop de fruits, qui s’affaisse sous le poids de sa générosité ».

Dans ce roman, non cette chronique, non cette novella, enfin là-dedans, le plus perturbant est le grand trou noir temporel. Certaines œuvres sont intemporelles, ceci n’est que de jamais et nulle part. Chronique de la fin des campagnes ont dit certain(e)s critiques. Espèce de fantasme très à la mode plutôt. De cette taille-là ce n’est plus du cliché, mais un vrai film. Les papys, l’oncle idiot et sa faisane, les d’jeuns en mobylettes (si, si !), le taureau et les saillies. Il existe cependant des marques d’écriture perso : des propositions très courtes qui exacerbent le manque de contrôle, l’usage du « ça », l’image des « bêtes » (pas les vaches).

Je ne connaissais pas Marion Fayolle illustratrice, je suis allé voir. C’est imprégné de la même eau du siècle. Nunuche, glissant, épuisant de bienveillance. Et vide. Mais en avance sur les manifestations paysannes, qui vont peut-être en relancer les ventes.

Allez, je vais me relire mes vieux Cabanes, Dans Les Villages.

 

Innocent, Gérard Depardieu, Le Cherche-Midi, 2015, 188 pages, 16,50 €

Un début prometteur pour un livre oubliable :

« Le jeune Pierre Niney qui reçoit le César du meilleur acteur pour son interprétation d’Yves Saint Laurent remercie la « bienveillance profonde » des votants, « cette bienveillance tellement importante pour jouer », cette « bienveillance nécessaire ». Depuis quand le cinéma doit-il être bienveillant ?

Et puis c’est tout. Sur les moins de deux cents pages du truc. C’est bien sûr écrit avec les pieds. Mais aussi très, très lourd. Tellement pro-Poutine (2015) que c’en est touchant, et puis aussi pensé avec les pieds, une sorte de gloubi-boulga sauce Shaolin et macrobiotes mystiques (beaucoup de mentions de caca). « C’était l’innocence par exemple des Indiens d’Amérique, qui avaient tissé un lien extraordinaire avec leur environnement. Ces gens étaient des nomades qui ne prenaient à la terre pas plus que ce dont ils avaient besoin. C’était là une sagesse véritable, qui a très vite été éradiquée par ces fanatiques religieux venus d’Europe qui eux, malgré toute leur philosophie des prétendues Lumières, étaient loin d’être innocents ».

Bref c’est mauvais mais pas plus que d’autres, et ne comporte d’ailleurs aucune page ignoble sur les femmes. On ne trouvera pas là justification des tribunaux populaires (ou pas) qui l’ont déjà condamné, brûlé, et vont maintenant détruire les copies des films où le monstre apparaît, dans de grands festivals tout pimpants.

Et bienveillants.

 

Alain Faurieux



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A propos du rédacteur

Alain Faurieux

 

Alain Faurieux, fanatique de S.F. et adepte du polar. Maniaque de musique (genre « insupportable » pour ceux qui le fréquentent encore), anciennement enseignant d’anglais.