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Comenius, Philosophie moderne et prophétisme, Marta Fattori

Ecrit par Gilles Banderier 20.08.18 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Essais, Italie, Editions Honoré Champion

Comenius, Philosophie moderne et prophétisme, janvier 2018, trad. italien Tomaso Berni Canani, 238 pages, 45 €

Ecrivain(s): Marta Fattori Edition: Editions Honoré Champion

Comenius, Philosophie moderne et prophétisme, Marta Fattori

 

Le patronyme de Comenius ne survit guère, dans ce qu’on appelle la « culture générale » (c’est-à-dire la culture partagée, commune), que grâce au programme européen d’échanges éducatifs qui a reçu son nom. Le personnage lui-même demeure dans l’ombre. Il écrivit en deux langues, l’une minoritaire (le tchèque), l’autre morte et, en France du moins, enterrée (le latin). Bien malgré lui, son existence fut modelée par les convulsions et les horreurs de son siècle, les longues guerres de religion et la Guerre de Trente Ans. Jeté de bonne heure sur les chemins de l’exil, Comenius partagea sa vie entre la Pologne, l’Angleterre, la Suède et, pour finir, les Pays-Bas, ce havre des originaux, des dissidents et des persécutés, où il fut à Amsterdam le voisin de Rembrandt (selon une hypothèse, un des portraits du grand peintre néerlandais représenterait le philosophe tchèque – voir p.78). Grâce à une intelligence rare et à une prodigieuse capacité d’abstraction, Comenius parvint à bâtir une œuvre importante, dans des circonstances qui eussent découragé tout individu moins obstiné et bien que ses manuscrits eussent été égarés ou brûlés au gré des déménagements et des conflits.

Les deux prénoms de celui qui s’appelait en réalité Jan Amos Komenský le reliaient en ligne droite au prophétisme et à l’apocalypse bibliques. Prophète, il voulut l’être, en des temps troublés qui favorisaient ce genre d’attitude, et il ne fut pas le seul. Il se lia avec Antoinette Bourignon (sur qui on trouvera des pages remarquables dans l’ouvrage classique de Leszek Kolakowski, Chrétiens sans Église). Évidemment, serait-on tenté d’écrire, ce prophétisme exalté, cette tendance à édifier des utopies, ont mal vieilli et contribué à rendre inintelligible une partie de l’œuvre coménienne, particulièrement dans les pays latins. En 2016, Jean-Antoine Caravolas avait publié chez le même éditeur un ouvrage sur la réception française de Comenius, sous-titré « Histoire d’une relation difficile ». On ne saurait mieux dire. Dans le phylum de l’histoire des idées au XVIIesiècle, Comenius incarne un rameau qui, pédagogie exceptée (comble de l’ironie, ses théories furent mises en pratique par les Jésuites), ne conduisit nulle part. Même s’il rencontra Descartes et s’entretint avec lui plusieurs heures, Comenius passa au large de la philosophe moderne. Rares sont en français les ouvrages consacrés à cette figure méconnue. Celui-ci est traduit de l’italien (et aurait mérité d’être relu de près avant l’impression : que veulent dire, par exemple, les notes 92, p.48, et 62, p.206 ? Pourquoi parler de Danaeus Lambert à deux reprises, p.24 et 42, pour donner à la même page 42, note 66, son nom véritable : Lambert Daneau). Il offre une biographie intellectuelle de Comenius, avant de proposer des chapitres monographiques sur la notion coménienne d’encyclopédie, la rencontre (manquée) avec Descartes, que Comenius n’a pas compris, et sur l’une des rares œuvres proprement littéraires de l’écrivain tchèque, son Labyrinthe du monde et le Paradis du cœur (Labyrint svĕta a ráj srdce, 1631), voyage allégorique qui conserve le souvenir poignant des horreurs auxquelles Comenius avait assisté (p.203) et évoque le célèbre Pilgrim’s Progress de Bunyan (le jésuite Gracián avait-il entendu parler de Comenius avant d’écrire le Criticón ?).

 

Gilles Banderier

 


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A propos de l'écrivain

Marta Fattori

 

Marta Fattori est professeur émérite d’histoire de la philosophie moderne à l’université de Rome-La Sapienza.

 

A propos du rédacteur

Gilles Banderier

 

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Docteur ès-lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. Dernier ouvrage publié : Les Vampires. Aux origines du mythe (2015).