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Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Tiago Rodrigues (par Marie du Crest)

Ecrit par Marie du Crest 02.12.20 dans La Une Livres, Les Livres, Critiques, Théâtre, Les solitaires intempestifs

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Tiago Rodrigues, novembre 2020, trad. portugais, Thomas Resendes, 112 pages, 15 €

Edition: Les solitaires intempestifs

Catarina et la beauté de tuer des fascistes, Tiago Rodrigues (par Marie du Crest)


Tiago Rodrigues écrit, met en scène ses textes de théâtre. Il a joué en français pour la première fois à Toulouse. Il est l’une des figures majeures du théâtre contemporain dans son pays ainsi qu’en Europe. Son œuvre dramatique traduite en français essentiellement par Thomas Resendes est publiée chez Les Solitaires Intempestifs.

Très récemment, Les Solitaires Intempestifs ont publié la trilogie grecque autour du personnage d’Iphigénie de Tiago Rodrigues, qu’il considère lui-même comme une « réécriture » de la source tragique antique. Catarina et la beauté de tuer des fascistes nous ramène au Portugal et fait ressurgir la douloureuse époque du régime d’Oliveira Salazar et de la dictature de l’Estado Novo, qui fut la plus longue en Europe puisque c’est la Révolution du 25 avril qui y mit fin, en 1974.

Le prénom de Catarina si souvent répété dans la pièce passant d’un personnage à l’autre (cinq hommes, trois femmes) évoque le souvenir de l’une des icônes de la gauche portugaise et de la littérature : Catarina Eufénia, jeune travailleuse agricole assassinée par un militaire, en 1954, dans la région de Béja, lors d’une protestation pour demander de meilleurs salaires. Elle hante littéralement d’ailleurs les personnages de la pièce. Sara (p.37) raconte l’histoire de son amie et de son mari qui n’a rien fait au moment où Catarina était menacée. Le fantôme de Catarina revient dans le monde des vivants. Il faut abattre cet homme pour le mal qu’il a fait et pour le bien qu’il n’a pas fait. La justice ou la vengeance commence, l’ordre tragique, en fait s’impose ; ce que fera Sara en tuant son propre époux. Personne ne peut échapper à ce rituel.

Ainsi chaque année, dans une maison isolée, près d’une forêt de chênes-liège, une famille lisboète se retrouve pour tuer un fasciste féminicide, depuis 74 ans. Soixante-dix-huit fascistes ont été tués. Nous sommes cette fois-ci en 2028. Un député du parti nationaliste, d’extrême-droite, vainqueur aux dernières élections législatives, a été enlevé et séquestré dans l’attente de son exécution, un dénommé Pedro Antunes ou Romeu. Les fascistes sont aux portes du pouvoir et risquent fort de mettre en place leur programme : censure de l’opposition, abolition de l’avortement légal, du mariage homosexuel, lutte contre les étrangers entrant dans le pays, retour aux valeurs nationalistes, sur le modèle sans doute du PNR ou de Chega ! La famille va débattre pour convaincre la plus jeune de la famille d’assassiner cet homme mais elle doute de la nécessité d’un tel acte, un peu à la manière du personnage de la pièce de Sartre, Les Mains sales, Hugo qui est chargé d’exécuter Hoederer mais qui ne passera à l’acte, non pas pour des raisons politiques mais pour une affaire adultérine. Sara/Catarina finalement ne tirera pas sur le fasciste comme les gens de sa famille l’ont fait avant elle.

Ce qui frappe dans la pièce de T. Rodrigues, c’est la superposition des rôles et des comédiens et comédiennes avec leurs vrais prénoms et l’écriture très politique de la pièce dont Brecht cité souvent serait l’âme tutélaire. Rodrigues fait parfaitement fonctionner ensemble la fiction dramatique sous la forme d’une anticipation et l’Histoire tourmentée du vingtième siècle du Portugal (dictature et démocratie). Cette confrontation du réel et de l’invention théâtrale s’affirme dans la toute dernière scène où le fasciste qui n’a pas été tué prend la parole sur plusieurs pages alors qu’il n’a fait que des gestes dans tout le reste du texte : il s’agit d’un discours programmatique / tirade qui est prononcé devant le public, intégré dans les didascalies et qui va au fil de ses propos réagir de plus en plus bruyamment, par rejet de ces intentions populistes, xénophobes, réactionnaires… Il y a dans cette parole ultime cependant comme le triomphe malgré tout, de cette voix dangereuse que l’on entend résonner aujourd’hui, dans bien des pays européens, celle des autocrates élus démocratiquement.

La pièce de Tiago Rodrigues a été créée le 19 septembre 2020, dans une mise en scène de l’auteur au Portugal. Elle était programmée en novembre 2020, dans plusieurs théâtres français (à Toulouse, à Cherbourg) et aux Bouffes du Nord à Paris en décembre.


Marie Du Crest


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Rédactrice

Théâtre

Marie Du Crest  Agrégée de lettres modernes et diplômée  en Philosophie. A publié dans les revues Infusion et Dissonances des textes de poésie en prose. Un de ses récits a été retenu chez un éditeur belge. Chroniqueuse littéraire ( romans) pour le magazine culturel  Zibeline dans lé région sud. Aime lire, voir le Théâtre contemporain et en parler pour La Cause Littéraire.