Bestiaire, Alexandre Vialatte (par Charles Duttine)
Bestiaire, Alexandre Vialatte, Editions Arléa, février 2023, Illust. Philippe Honoré, 168 pages, 11 €
Edition: Arléa
De la fantaisie érigée en art.
Le genre du Bestiaire s’enracine au plus profond de l’histoire de la littérature. Au Moyen-Age, il connaît ses grandes et riches heures avec des publications fabuleuses comme le « Physiologos » ou encore le « Bestiaire d’Aberdeen ». Dans ces ouvrages, on voit que la relation aux animaux provoque quelque chose de profond qui va de l’admiration à l’interrogation en passant par l’étonnement. Les descriptions des bêtes sont accompagnées de miniatures souvent somptueuses. Que l’on puisse publier un « Bestiaire » signé Alexandre Vialatte, comme le font aujourd’hui les éditions Arléa, ne peut que stimuler notre curiosité. Et l’on n’est pas déçu. On découvrira un Bestiaire non conventionnel, où le loufoque côtoie l’acerbe et où l’absurde rejoint la facétie. Des illustrations-miniatures sont également présentes sous la forme de dessins du regretté Honoré, dessinateur de Charlie-Hebdo, lâchement assassiné un funeste mois de janvier 2015.
On ne présente pas Alexandre Vialatte (1901-1971), mais pour ceux qui ne le connaîtraient pas, ce petit livre peut constituer une découverte délicieuse. En quelques mots, on dira qu’il fut traducteur d’auteurs de langue allemande, notamment de Kafka et de Nietzsche, qu’il a été l’auteur de quelques romans et nouvelles, qu’il fut journaliste et surtout chroniqueur dans le journal de Clermont-Ferrand, « La Montagne ». Alexandre Vialatte, c’est surtout un ton. Le lire, c’est découvrir un style fait d’élégance, de surprise et de burlesque. Avec une langue précieuse et recherchée, on suit une écriture primesautière, toujours surprenante qui nous éloigne de tout ennui. Quiconque serait frappé de mélancolie trouvera à la lecture de Vialatte un remède salutaire. Et on ne peut que conseiller la fréquentation de Vialatte à ceux qui n’ont aucun style parmi nos contemporains, ceux à l’écriture plate ou les cuistres qui revendiquent un « effet de banal » dans l’écriture et leurs adorateurs.
Ce Bestiaire rassemble des publications diverses, notamment des chroniques. Il y est question bien entendu d’animaux, de l’albatros au vautour, de l’hippopotame à la mante religieuse, mais aussi de l’homme au profil, écrit notre auteur, « vraiment zoologique » (trois rubriques lui sont d’ailleurs consacrées), également de l’Auvergnat, de l’Italien et d’Alexandre Vialatte lui-même. Le propos sur les bêtes est des plus variés et épouse tout un peuple de points de vue. Statistiquement, on y apprend que la mante religieuse « n’épouse que des décapités » et que dans l’espèce, les femelles sont toutes veuves. Poétiquement, on suit Vialatte lorsqu’il nous dit des girafes qu’elles « sont couleur de papier peint », que « rien n’est plus vaporeux que la valse des girafes, plus jeune fille et plus printanier » et que « leurs grands cils sont des cils de demoiselle ». Moralement, on découvre que l’escargot « nous donne de grandes leçons. S’il arrive lentement au bonheur, il arrive lentement à la tombe ».
Quant aux descriptions, elles sont toutes aussi cocasses les unes que les autres. Ainsi de l’éléphant qui « se compose en gros d’une trompe, qui lui sert à se doucher, d’ivoire, dont on fait des statuettes, et de quatre pieds, dont on tire des porte-parapluies ». Ou encore la description de la poule dont le comportement relève de l’effrayant. « Il n’y a d’ailleurs qu’à regarder une simple poule, disons une poule noire à l’œil jaune, pour finir par être terrifié. Voyez-la picorer un ver, un serpent, ou une autre poule (une poule malade que toute la confrérie se met froidement à assassiner). Elle pique d’un geste mécanique et saccadé ; on dirait une machine à coudre ; ou alors un monstre tertiaire ; nulle expression ; le marteau-piqueur a plus d’entrailles (…) c’est une bête de l’Apocalypse ».
On comprendra qu’avec ce Bestiaire de Vialatte nous sommes loin d’un dictionnaire ou d’une encyclopédie raisonnée mais dans un univers fait d’extravagance et où la fantaisie est érigée comme un art. On sent chez lui le plaisir de jouer avec la facétie et le saugrenu. Et les lecteurs que nous sommes ne peuvent qu’y prendre un plaisir certain, loin de tout esprit de sérieux et de lourdeur, ce dont nous avons un grand besoin dans les temps qui sont les nôtres.
Charles Duttine
Alexandre Vialatte (1901-1971), écrivain, romancier et traducteur, doit sa notoriété à son œuvre de journaliste et chroniqueur prolifique, où il déploie humour, liberté de penser, art du second degré et du canular, notamment dans ses célèbres chroniques du quotidien de sa région natale, « La Montagne ».
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