Avec ma tête d’arabe, Aïda Amara (par Yasmina Mahdi)
Avec ma tête d’arabe, Aïda Amara, éd. Hors d’atteinte, 240 p., à paraître le 2 septembre 2025, 21 €

Résilience
« À la manière d’un puzzle, j’ai rassemblé l’histoire de mes deux pays pour mieux comprendre qui je suis ». Cette phrase augurale définit (en partie) l’autrice, grâce à une énonciation qui subsume la narration et la situation future de la protagoniste. Le titre du premier roman d’Aïda Amara est déjà significatif : Avec ma tête d’arabe. Aïda Amara, née de parents algériens, est journaliste et réalisatrice. (Voire le podcast Transmissions ainsi que le documentaire Revenir.) Elle anime des ateliers d’écriture et de podcast auprès de jeunes avec les médias Le Bondy Blog et la Zone d’expression prioritaire.
Le récit débute par une sorte d’enquête sous la forme d’un journal de bord qui court sur presque dix années. Il nous apprend que le racisme ordinaire ne l’est pas, que c’est une calamité, en même temps qu’une bêtise crasse.
C’est aussi le portrait d’un père (d’une génération postérieure à celle des parents issus de la première vague d’immigration - les anciens moudjahidine) ; un homme intelligent et exigeant, dans le contexte donné d’un veuf chargé de l’éducation d’une fille unique. De fait, le passé algérien réapparaît, une longue histoire éclaboussée du sang des martyrs, d’habitants sujets à la faim, aux humiliations, à la terreur et aux tortures, fléaux entretenus par les colons et les militaires français.
Malheureusement, une autre guerre va gâcher la vie de l’autrice : une attaque perpétrée par de jeunes maghrébins pris dans l’étau du fanatisme, celle d’une tentative d’assassinat en 2015. À la suite de ces actes violents, des procédures policières sont engagées contre ces enfants de la France. « Ce sont nos monstres », précise la romancière. Ce choc terrible va raviver les blessures identitaires, l’état français promulguant les menaces d’expulsion et remettant en question le statut des travailleurs immigrés. Relevons cette phrase touchante qui en dit long : « Les enfants d’immigrés sont comme ça : ils croient dur comme fer aux principes républicains. Ensuite, ils grandissent ».
Aïda Amara se sert d’écrans pour s’informer, mais c’est en écrivant qu’elle « réhumanise » les morts, pour « les sortir de l’anonymat qui condamne à l’oubli ». Le parallèle entre la guerre d’indépendance en Kabylie en 1958 et la tuerie à la kalashnikov en 2015 est troublant et très intéressant, car cela ouvre une réflexion pertinente sur les liens historiques qui tissent l’Algérie et la France (qu’il s’agit de dénouer, sans concession). Les racines tamazigh sont revendiquées comme « le point final de toutes nos discussions familiales : les racines berbères de l’Algérie ». (Deuxième point crucial de la cohésion nationale algérienne). Néanmoins, pour Aïda, la rencontre avec l’Algérie n’est pas simple - autre sentiment persistant des filles et des fils d’immigrés nés ou/et élevés dans l’hexagone : « C’est drôle d’entendre des petits parler kabyle, que je n’ai jusque-là entendu parler que par des adultes. Une fois le café servi, le salon passe en version originale non sous-titrée et je ne comprends plus rien ». Une précision qui n’est pas un détail, mais une advertance qui implique une conscience claire.
La revanche est là, traduite en littérature, dans ce livre fort, l’histoire spécifique d’une jeune femme concernant sa survie, un livre de la résilience et de la résistance. « (…) « arabe », ça ne veut rien dire pour nous. (…) Nous sommes algériens, marocains, tunisiens, kabyles, chleus ou chaouis. Ce n’est qu’une fois arrivés en France que nous devenons cet amas indissociable sans histoire ni culture. Retourner le stigmate et s’en servir comme d’une gifle. Provoquer avec les mots utilisés pour dénigrer ».
Yasmina Mahdi
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