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A propos de "Œuvres complètes, Louis-René des Forêts", par Marc Michiels

Ecrit par Marc Michiels (Le Mot et la Chose) le 08.02.16 dans La Une CED, Les Chroniques

Œuvres complètes, Louis-René des Forêts, Gallimard coll. Quarto, 186 ill., juin 2015, présentation Dominique Rabaté, 1344 pages, 28 €

A propos de

 

« Penser la vérité est un premier pas vers son énonciation, le plus difficile à franchir, du moins en apparence, car comment la circonscrire par des mots sans lui porter atteinte ?… Ainsi qu’il en va d’un cahier de brouillon plein de ratures et d’ajouts »

Louis-René des Forêts, in. Ostinato fragments posthumes, 2002

 

Écrivain rare, Louis-René des Forêts a su mettre en scène sous l’œil acéré de sa conscience, une imagination dramatique, une extraordinaire variété de formes d’écriture, une poésie narrative, versifiée, une autobiographie intérieure et fragmentaire. Signe d’un essaim expérimental formel, qui n’avait que pour ultime floraison, la création d’un écrin unique, pour le repos silencieux de son âme meurtrie par le deuil.

L’œuvre rassemblée dans ce volume de la collection Quarto paru chez Gallimard – avec ses nombreuses critiques littéraires, correspondances, portraits, biographie, extraits d’entretiens, photographies et œuvres exposées ou éditées – dévoile un texte intitulé Le Droit à la vérité, publié dans le premier numéro de la revue du 14 juillet en 1958 : « … comme si le signe survivait misérablement à la chose signifiée : on n’y parle plus que pour séduire, flatter, corrompre, asservir. Il en résulte qu’ayant bientôt perdu tout contact avec les réalités concrètes et avec les évidences qui sont à la base de la pensée, prisonnier de ses propres surenchères, on se trompe soi-même et que, pour avoir abusé trop longtemps de la crédulité des autres, on n’est cru désormais de personne ».

Pas à pas, nous qui cherchons avidement notre vérité secrète, ce serait donc une apparence qui nous apprendrait ce que nous sommes ? Fut-il pour mieux se détourner de la vérité des pôles et du langage !

Comme le dit si bien Dominique Rabaté dans cette édition, c’est à l’intérieur même du texte que se loge le mouvement critique, la forme du dédoublement d’incertitude qu’adopte Le Bavard. De même c’est dans la narration des fragments que le texte Ostinato ne cesse de questionner le sens de son aventure.

Persévérante recherche, réminiscence jusqu’à l’obstination – une clé de ce qui finalement ne serait que le but et non un quelconque mouvement rétrospectif du souvenir. Clé de sol assurant l’accord de toutes les mélodies, de tous les instruments par la direction secrète de son auteur ; plus soucieux d’extraire la révélation de l’impossible, réunion de l’être, réconcilié avec son double – que de fixer une pensée en action, si longuement méditée. Une continuation du récit, par l’encre noire d’une seiche, fuyant le bruit, comme pour mieux marquer son empreinte dans cet océan du verbe, de la donnée, devenu trouble et impersonnelle. Un voile sépia dans la profondeur de la nuit, rideau de l’âme, à jamais perdu au fond du précipice, loin des euphausiacea servant de soupe grasse et indigeste au temps réel des espèces menacées.

L’écriture de Louis-René des Forêts devient donc l’évocation d’une vie même, alchimie des Légendes, qui deviendra Ostinato, écrit à la troisième personne du singulier, au présent de l’indicatif, bien loin d’un texte Bavard, brillante inflation d’un Moi, inépuisable murmure, devenu l’arcane majeur même de notre existence. Il s’agit au contraire d’une sensation venue de l’extérieur, sans l’exil de soi, dépouillée du moindre caractère biographique, plus secrète qu’une prière ; parole à double face, dans l’affirmation ambiguë du passé et du mensonge. Un texte qui s’impose à tous comme une distance d’un passé coloré, face à un présent incolore et fantomatique.

Seule vie à vivre, aux yeux de l’homme, voyage d’un être sans masque, à la plume d’un auteur, qui devrait être « vécue » une seconde fois, celle de l’enfance : « Que jamais la voix de l’enfant en lui ne se taise, qu’elle tombe comme un don du ciel offrant aux mots desséchés l’éclat de son rire, le sel de ses larmes, sa toute-puissante sauvagerie », Ostinato, 1997.

Une « imagination de la vérité » qui corrode inlassablement chaque mot par son ironie amère, comme pour sauvegarder l’empreinte noire des aspérités de la Lune qui seraient restées à vif sous l’action de l’apesanteur, du temps, de la pesanteur du monde terrestre, qui aurait pu disparaître sous l’action d’une goutte de rosée, venue de l’intérieur d’une rose des sables.

En 1975, François Xavier Jaujard, préparant un volume d’hommage aux éditions Granit, avait commandé à Louis-René des Forêts une courte autobiographie : Écrire, c’est masquer tout ce qu’on ne peut pas nommer, c’est faire un détour. C’est pourquoi aussi cette autobiographie secrète passe par le « il » alors que la plupart de mes autres récits s’appuient sur le « je » : c’est pour, cette fois, mettre à distance, pour marquer aussi le tissu fonctionnel toujours présent, toujours rôdant. Mais cet « Ostinato », je ne sais pas si je le publierai jamais autrement qu’en fragments dans des revues, car, de par son caractère même, il est pensé comme une chose d’interminable. Comme une analyse. Mais il est aussi difficile d’écrire que de suspendre le mouvement. De toute manière, l’écriture est une malédiction – à laquelle on se voue avec souffrance.

Hâte-toi d’en rire jusqu’aux larmes, Lecteur ! Car « nul n’est là pour le guider vers la sortie et quand il y parviendrait tout seul, nul ne se hâtera pour l’accueillir ». Il vous reste que peu de temps à gémir sur votre sort, peu de temps à vivre pour ceux qui refusent la vie.

Louis-René des Forêts, plus que l’auteur, plus que le penseur, est un passeur qui vous accompagnera à « déchirer l’écorce qui enveloppait ce cœur orgueilleux toujours prompt à se replier sur ses frontières, mais si pareil au sein par le refus d’abandonner la sauvagerie de l’enfance. Il a su le contraindre en lui offrant le don de l’amitié la plus haute à faire remonter des grands fonds vers la lumière tout ce que sa nature défiante avait confiné et laissé dépérir. Cette explosion d’énergie jusque-là contenue l’aura déliée de lui-même en l’aidant par le réapprentissage de la parole à rétablir avec le monde un rapport de vérité et comme un contact physique depuis longtemps perdu ».

Une révélation pudique, pour une parole impudique, il faut lire et relire les Œuvres complètes de Louis-René des Forêts comme un livre fragment, inachevable qu’est la vie même !

« Ce ne sont ici que figure de hasard, manière de traces, fuyantes lignes de vie, faux reflets et signes douteux que la langue en quête d’un foyer a inscrit comme par fraude et du dehors sans en faire la preuve ni en creuser le fond, taillant dans le corps obscurci de la mémoire la part la plus élémentaire – couleurs, odeurs, rumeurs –, tout ce qui respire à ciel ouvert dans la vérité d’une fable et redoute les profondeurs », Ostinato.

 

Article écrit par Marc Michiels pour Le Mot & la Chose

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A propos du rédacteur

Marc Michiels (Le Mot et la Chose)

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Né en 1967, Marc Michiels est un auteur de poésie visuelle. Passionné de photographie, de peinture et amoureux infatigable de la culture japonaise, il aime jouer avec les mots, les images et la lumière. Chacun de ses textes invitent au voyage, soit intérieur à la recherche du « qui » et du « Je par le jeu », soit physique entre la France et le Japon. Il a collaboré à différents ouvrages historiques ou artistiques en tant que photographe et est l’auteur de trois recueils de poésies : Aux passions joyeuses (Ed. Ragage, 2009), Aux doigts de bulles (Ed. Ragage, 2010) et Poésie’s (2005-2013). Il travaille actuellement sur un nouveau projet d’écriture baptisé Ailleurs qui s’oriente sur la persévérance du désir, dans l’expérience du « pardon », où les figures et les sentiments dialoguent dans une poétique de l’itinéraire.