A Mi-Chemin, Sam Shepard (par Léon-Marc Levy)
A Mi-Chemin, août 2016, trad. américain Bernard Cohen, 202 pages, 8 €
Ecrivain(s): Sam Shepard Edition: Pavillons (Poche)
Nul doute que Sam Shepard soit un nouvelliste exceptionnel. On entend dans ses récits la paternité de Raymond Carver par son art d’une sobriété époustouflante et celle du Montana, dans sa passion dévorante pour la nature et les grands espaces. Les nouvelles rassemblées ici condensent son talent de conteur de coupes de vie, serties dans des moments, des situations improbables.
Ce recueil nous offre 18 nouvelles courtes dans lesquelles, avec une énergie et une tension permanentes, Shepard brosse un monde peuplé d’hommes rudes et fiers, de femmes qui ne le sont pas moins, dans des cadres naturels sauvages et solitaires. Un monde où les animaux, chevaux, chiens, chèvres, tiennent une place éminente aux côtés des humains, une place où ils sont des êtres à part entière, nobles et sacrés. Ainsi dès la première nouvelle, Le Guérisseur, cette scène splendide avec un cheval indomptable :
« Sur son dos, les muscles ondulaient comme des couleuvres. Des coulées de sueur noire sortaient de sa crinière. J’avais dans le nez l’odeur de la peur, aussi forte que celle d’un rat mort dans une mangeoire. Peur animale et peur humaine, entremêlées ».
Le monde de Shepard c’est surtout celui de la divine nature. Car Dieu n’est rien d’autre chez lui que la beauté du monde, son chant sacré, sa parfaite unité, sa sublime harmonie. Ecoutez ce chant du monde :
« J’ai observé la nuit tomber, les hiboux s’installer dans le grand eucalyptus et entamer leur veille, à l’affût du moindre bruissement dans les plantes du jardin. […] J’ai jeté la tête en arrière, la bouche ouverte sur le ciel noir, et c’est l’explosion géante de la voie lactée qui a dû tirer de moi un grand cri hilare, comme si on avait pincé un nerf tout le long de mon échine. Je riais avec mes dents, avec ma peau. J’ai entendu mon père sortir sur le perron et m’appeler, mais je n’ai pas répondu, et j’ai continué à me balancer en silence. A cet instant, j’ai vu exactement d’où je venais et jusqu’où je m’en irais ».
Les nouvelles de Sam Shepard palpitent d’humanité, de compassion, des grands vents de l’universel. Eclatants brins de vie qui surgissent dans les lieux, les moments les plus inattendus, avec des gens qui ne le sont pas moins. Ainsi dans ce fast food minable, avec des petits serveurs surprenants :
« Au-dessus des ailes de poulet fumantes, il y a un petit carton avec une phrase écrite à la main dessus : LA VIE, C’EST CE QUI VOUS ARRIVE PENDANT QUE VOUS RÊVIEZ DE FAIRE AUTRE CHOSE. L’écriteau tout taché se balance lentement dans la lumière orange des rampes chauffantes. Une musique de fond apocalyptique geint dans des hauts parleurs bien cachés. Un petit gars tout anémique est embusqué derrière le comptoir, sa casquette enfoncée sur le crâne et deux grandes oreilles rosées pointant sur les côtés, chacune autant chargée d’anneaux qu’une tringle à rideaux ».
On va ainsi, avec la voix grave de Shepard parfaitement restituée par Bernard Cohen, sur des chemins de solitude, d’inquiétude, d’humanité enfin. Un livre qui rêve du Paradis, une lecture qui s’impose.
Leon-Marc Levy
VL3
NB : Vous verrez souvent apparaître une cotation de Valeur Littéraire des livres critiqués. Il ne s’agit en aucun cas d’une notation de qualité ou d’intérêt du livre mais de l’évaluation de sa position au regard de l’histoire de la littérature.
Cette cotation est attribuée par le rédacteur / la rédactrice de la critique ou par le comité de rédaction.
Notre cotation :
VL1 : faible Valeur Littéraire
VL2 : modeste VL
VL3 : assez haute VL
VL4 : haute VL
VL5 : très haute VL
VL6 : Classiques éternels (anciens ou actuels)
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