Quatre livres de La Boucherie littéraire
Ecrits sans papiers, Pour la route entre Marrakech et Marseille, Mireille Disdero
Maison, Poésies domestiques, Emmanuel Campo
On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive, Hélène Dassavray
Lame de fond, Marlène Tissot
Ecrits sans papiers
« Le sud lie ton corps au soleil / et la lumière en voyage / vient boire dans ta main ».
« La lumière est perturbée par le vent. On sent que quelque chose existe. C’est humble, ça ne s’impose pas. Le vent. Le soleil ».
« Et dans le ciel orange, deux gabians puis un avion au ventre blanc, tracent un trait de lumière sur ta mémoire pour plus tard ».
Saisir ce qui nous saisit lorsque l’on va d’une ville à l’autre, d’un port à un autre, lorsque l’on projette son corps, ses pensées et ses phrases de Marrakech à Marseille, avec des haltes hispaniques. Ces écrits, ces notes glanées, ces impressions, ces saisissements, ces éclairs, ces éclats donnent force et brillance à ce récit romanesque. Il y a là, chez Mireille Disdero, l’art de saisir sur le vif, comme on peut le dire d’un photographe qui sait voir, faire voir et finalement faire entendre.
Maison, Poésies domestiques
« Je compte lancer une revue de poésie avec dedans / un coussin / un meuble / un pouf / un shampoing anti pelliculaire / une platine vinyle / un forfait 2 heures + S.M.S. et M.M.S. illimités / un clic-clac / du rap etc… »
« Tu t’es permis / de m’emprunter mon Bukowski / pour le lire aux toilettes. / Le glamour des premiers jours s’en est allé / comme des chevaux sauvages dans les collines ».
Emmanuel Campo ne manque ni d’audace, ni de culot, il écrit comme s’il chantait, et d’ailleurs, il chante. Ses petites poésies résonnent comme des chansonnettes, d’enfance et de son âge, l’une donnant naissance à l’autre, des ritournelles. Ces Poésies domestiques misent sur la collection, la multiplication, la rencontre, la surprise, les mots qui se rencontrent pour la première fois ont souvent l’air surpris. L’auteur, joueur, en joue, s’amuse des phrases reçues et des situations inventées ou supportées, et tout cela fort heureusement n’a aucune incidence sur la rotation de la planète.
On ne connaît jamais la distance exacte entre soi et la rive
« Parfois un fleuve / avec son tumulte / parfois une fontaine / parfois un geyser / parfois une rivière / d’eau douce et salée / comme des larmes / sans la tristesse ».
« … on ne connaît jamais la distance exacte / entre soi et la rive / ni à quel moment la vie vous échoue / sur les plages / de votre mer intérieure… »
Un roman comme un corps en mouvement permanent, une fontaine de jouvence, poétique, où à chaque mot, à chaque phrase, le corps se livre, comme un torrent. Joie du corps et des mots qui le dévoilent, où le corps en dit toujours plus, comme s’il ne cessait d’écrire ses aventures. Au centre de cette folle aventure du corps, l’origine de l’auteur, autrement dit l’Origine du monde et les grandes marées de l’amour.
Lame de fond
« Les heures se débobinent, Cancale se déplie comme un livre d’images. L’enfilade de restaurants entre l’Epi et la digue du phare. Le chemin des douaniers, les parcs à huîtres, les rochers. Le bruit des coquillages qui s’émiettent sous nos semelles. Je trinque à ton éternité en buvant l’horizon, d’un trait ».
Lame de fond est un roman de la mémoire et de la mer, comme une chanson que fredonnait un chanteur de variétés aux longs cheveux blancs, le roman de la disparition d’un loup de mer. Un père, un frère, un ami, son visage, son corps, ses exploits marins, son odeur, sa passion hante la mémoire de la narratrice, et c’est à chaque page saisissant de justesse. La marée accompagne chaque page de ce minuscule livre, une marée de souvenirs, face à la mer, où les disparus ressemblent à l’éclat blanc d’un phare ou d’une page de Lame de fond.
Philippe Chauché
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