Séoul, visages d’une ville, essai-vidéo, Gina Kim
Séoul, visages d’une ville, essai-vidéo, L’Atelier des cahiers, coll. Images, octobre 2017, trad. coréen Simon Kim, 128 pages, 18 €
Ecrivain(s): Gina Kim
Retour à Séoul
Ce que nous connaissons ici en France de La Corée ce sont des marques de téléphonie, de voitures, un tube fantaisiste entendu un temps sur les ondes ou sur le Net, mais aussi depuis quelques mois la surenchère militaire du dictateur de Corée du Nord, et les réponses de Trump à ce jeu dangereux.
J’aime depuis longtemps le cinéma coréen, les mystères de sa langue et de son alphabet, le hangeul, les baguettes en métal, la saveur du kimchi. Je suis allée dans le quartier coréen de New-York et j’ai fait escale à l’aéroport international de Séoul. Je connais l’histoire violente du pays : la longue colonisation japonaise qui fit subir aux femmes tout particulièrement, entre autres atrocités, la prostitution, qui interdit la pratique de la langue nationale. La guerre civile, après le partage de la péninsule entre l’URSS au nord et les Etats-Unis au sud. Guerre sans paix signée encore aujourd’hui. Ajoutons à cela des dictatures…
Le petit volume de Gina Kim en quelque sorte m’accompagne dans une promenade intime, à travers différents lieux de cette mégalopole où elle revient en 2009 avec tous ses souvenirs et ses images, celles de son enfance et celles qu’elle fabrique au présent : le livre contient un texte en édition bilingue (coréen-français), des photographie en double page, en écho aux différents chapitres. Son texte d’ailleurs est matière filmique, constituant une partie essentielle de la bande-son en voix off : l’auteur lit son texte en anglais et on entend aussi les bruits de la rue, de la vie autour d’elle, rapportés du tournage. A la fin du livre, sur des pages noires, des QR codes permettent d’écouter ce que nous avons lu en silence auparavant selon l’ordre justement des chapitres avec une photographie couleurs en frontispice.
Ce que nous dit Gina Kim à la première personne, c’est comment nous approchons un monde que nous avons connu et que nous avons quitté depuis longtemps. Gina Kim le fait par l’intermédiaire du film pour son pays natal : Pour la toute première fois, j’avais envie de filmer Séoul.
Le texte s’ouvre sur la figure paternelle et celle de son aïeul comme pour marquer son appartenance à un monde passé, devenu étranger par ses multiples transformations (urbanistiques) mais pourtant familier par la mémoire des sens, des nourritures par exemple et de leurs odeurs particulières. Elle suit un itinéraire à la fois géographique par quartiers jusqu’au sommet de la ville à la Seoul Tower (Seongbuk ou Itaewon) mais surtout mémoriel : empreintes des lieux de la colonisation comme la redoutée prison de Seodaemun ou de celui du terrible et meurtrier écroulement du grand magasin de Sampoong, le 29 juin 1995 à 17h15. Evocation aussi des manifestations étudiantes de 1960 contre la dictature de Syngman Rhee. Le passé à la fois revient et s’efface, les photographies sont le plus souvent saturées de noir, partiellement floues, rendues presque illisibles. Les visages eux-mêmes restent inidentifiables. Cependant, par-delà cette remontée dans l’histoire douloureuse du pays, Gina Kim capte aussi des moments de grâce (le printemps des cerisiers en fleurs), la rencontre d’un coiffeur de quartier, la beauté d’écolières nipponnes en sortie scolaire ou la lumière des lanternes d’un temple bouddhiste. Il s’agit pour elle de poursuivre encore en quelque sorte le journal intime d’une exilée de retour mais de retour provisoirement.
L’éditeur propose un catalogue riche en ouvrages autour de la Corée.
Marie Du Crest
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