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Sacré profane !, par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui le 17.01.18 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Sacré profane !, par Amin Zaoui

 

Dans une société islamisée où la culture d’ouverture, l’art de vivre ensemble et le respect de l’autre sont absents, l’homme est violent, voire agressif. Et cette bestialité de l’homme, dans une société pareille, est perçue comme symbole de la défense de l’honneur. Et le viol des droits de l’homme par l’homme est vu comme un courage. Une virilité chevaleresque ! L’Histoire est plus solide que le sacré. Le temporel est plus éternel que le sacré. Au commencement, le sacré musulman fut le Livre le Coran. Il était écrit à la main en se servant d’un calame taillé du roseau, trempé dans l’encre traditionnelle, s’maq. Transcrit sur la peau de chèvres ou de vaches, sur des parchemins ou sur des tablettes. Puis, un jour, le stylo Waterman américain est survenu, c’était en 1883 suivi du Bic français. Et les gardiens du temple, les fuqaha, n’ont pas tardé à interdire l’utilisation de cette chose impie pour écrire la Parole d’Allah ! Écrire le Coran à l’aide d’un stylo Waterman ou Bic est un acte de pollution religieuse. Une atteinte au sacré. Mais le stylo impie a résisté, les écrivains des versets sacrés se sont pliés. Et l’écriture a changé et la ligne d’interdits a reculé ! Un tabou est tombé.

Puis, arriva la machine à écrire, en caractères arabes en 1914, et les conservateurs islamistes n’ont pas tardé à crier haut et fort sur tous les minbars des mosquées, qu’écrire le Coran en usant d’une machine mécanographique satanique est un péché. Et que chaque musulman qui ose écrire un seul verset coranique à l’aide de cette machine diabolique fabriquée par les égarés, les impies, les impurs, est condamné par Allah, l’enfer est son destin éternel. Mais le temporel ne s’arrête pas, l’Histoire avance, la science aussi, et petit à petit le musulman se citadinise. Il s’est plié et se sert de la machine à écrire diabolique pour transcrire la Parole d’Allah, le Coran ! Il fut le premier muezzin.

Le jour où le Prophète a demandé à Bilal d’appeler les fidèles à la prière, grimpant le toit de la petite mosquée fait de branches de palmiers, il a usé de sa voix naturelle, physiologique. Quelques siècles après, arriva le microphone et le haut-parleur, voici un autre appareil impie, un nouveau phénomène, casse-tête qui dérange Bilal dans sa mort ! Bilal se retourne dans sa tombe ! Encore une fois de plus, les fuqaha n’ont pas attendu pour interdire l’utilisation du haut-parleur américain, français ou italien, chrétien ou juif, comme moyen pour l’appel à la prière : c’est haram ! Mais le rouleau compresseur de l’Histoire ne s’arrête pas. Ecrasant sur son chemin tout ce qui est contre la nature humaine, contre l’intelligence, contre la création, contre la raison. Aujourd’hui les musulmans se plaignent de l’utilisation exagérée et excessive du haut-parleur dans les mosquées. Paradoxe ! J’ai pensé à tout cela, en suivant quelques nouvelles à propos de la tournée artistique de Cheb Khaled en terre sainte (Arabie Saoudite). Le fils d’Oran, le King du raï, ne débarque pas en pèlerin, mais en sa personne d’artiste. Didi. Bakhta. Aïcha. C’est la vie ! J’ai pensé à tout cela, aussi, en voyant les images de ce fou d’Allah en train de saccager la statue historique de la vierge de Ain El Fouara de Sétif ! Si l’Histoire est un rouleau compresseur, les intellectuels sont les faiseurs de cette Histoire. Par la raison, par la lumière, par la science, ils font bouger les lignes de l’interdit, reculer la zone de l’ignorance et de la peur et élargir le champ de la liberté de pensée.

 

Amin Zaoui

 

In "Souffles" (Liberté, Alger)

 


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009