Rien n’est vrai que le beau, Œuvres choisies, Lettres, Oscar Wilde (par Matthieu Gosztola)
Rien n’est vrai que le beau, Œuvres choisies, Lettres, mai 2019, trad. Henriette de Boissard, François Dupuigrenet Desroussilles, Jean Gattégno, préface Pascal Aquien, 1248 pages, 29 €
Ecrivain(s): Oscar Wilde Edition: Gallimard
« The first duty is to be as artificial as possible. What the second duty is, no one has yet discovered », ou encore : « Being natural is simply a pose, and the most irritating pose I know ». Wilde se voue au dandysme, qui l’amène (en grande pompe, mais aussi dans la ferveur du retrait) à faire se confondre le temps de sa vie et celui, comme indéfiniment prolongé, du sacre de l’artifice. Par la grâce de cet artifice (Huysmans l’a compris avec À rebours), l’être authentique peut composer son apparence au point de faire de lui-même l’analogon d’une œuvre d’art.
Mais cette apologie de l’artifice est surtout pour Wilde, peut-on penser, manifestation d’une pudeur. Ce faisant, l’auteur du Sphinx sans secret tait prudemment son obsession pour l’idiosyncrasie. Ouvrons-nous. Faisons-la affleurer. Belle cépée. Rilke fera sienne cette obsession, usant de ses armes propres : la poésie. Mais lorsque l’ouverture a surgi en nous, nous inscrivant en elle, ce n’est pas le jour qui survient. Le constat – fait par Wilde, fait par Rilke, fait par Pierre-Albert Jourdan – est alors le suivant : « Toutes choses […], si tu les travailles, ouvrent leur cœur de nuit absolue ».
« Comment est la nuit ? » Soit la question posée, à la fin de la pièce de Brecht qui lui est consacrée, par Galilée à sa fille Virginia, à Florence. Wilde nous invite, constamment, à détourner cette question, ou plutôt à la poser autrement : Comment est la nuit, en nous ? Question énoncée, à un niveau ou à un autre, – en épousant toute la palette des intonations, tous les chantonnements que fait le silence, quand il se reconnaît doublure du vêtement de la parole –, par chacune des œuvres de l’auteur du Portrait de Dorian Gray recueillies (oiseaux blessés, mais volant plus haut que les oiseaux de proie) dans la paume tour à tour ouverte et refermée (pendant l’écriture de notre compte rendu) de ce Quarto.
Et la réponse qui vient, à la lecture de ces textes, ou même des lettres du mystérieux et inlassable jeune homme, c’est que la nuit en nous « est vivante, c’est qu’elle est traversée », pour reprendre la formulation de Jean-Christophe Bailly dans L’intérieur de la nuit. « Obscure, oui, […] et même noire, cette nuit est non seulement un certain état de la lumière, elle est aussi une matière, une matière poreuse, sans fin explorée, sondée, retournée ».
Quels sont les agents de ce travail de la nuit sur elle-même ? Vous avez la réponse ? Les agents de ce travail continu de la nuit sur elle-même, ce sont les songeries, quels que soient les moments de la journée, quels que soient les courants qui nous environnent : vagues, vaguelettes ou de la veille ou du sommeil. Actives, inquiètes, beaucoup plus nombreuses qu’on le penserait de prime abord, les songeries « surgissent et se cachent, se poursuivent et s’évitent, s’attendent et se dispersent ».
Vérité de Wilde : « ce qui n’est pour nous qu’un effleurement » à la lisière de nos vies « ou à la surface du sommeil, c’est en vérité tout un monde, tout un théâtre d’apparitions et de disparitions, un extraordinaire jeu de cache-cache qui se déploie dans l’obscurité et le silence ». Sondez cette obscurité, écoutez ce silence. Faites cette traversée. Faites, suivant le précepte d’un ghazal de Hafez, un pèlerinage à l’intérieur d’un silence. Et c’est, ainsi que l’écrit Jean-Baptiste Para, « au gré de cette expérience que peut s’éveiller le sentiment » – qu’a éprouvé fortement Wilde – « du reste infini qui entoure toute parole configurée ».
Reste infini. Nous sommes infinis.
Matthieu Gosztola
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