Religion ou culture dans un bidonville algérien, par Amin Zaoui
Souffles
Pourquoi est-ce que les Algériens habitent ensemble mais ne vivent jamais ensemble ? Pourquoi est-ce que l’Algérien refuse l’idée, plutôt la philosophie du « vivre-ensemble » mais adore surveiller les autres ? Cultive la culture de la surveillance ? L’œil algérien ne dort jamais. De même l’oreille ! L’œil est en permanence sur la femme, détaillant la voisine, décortiquant la mère, observant la passante, dénudant la jeune fille ! L’oreille récolte les infos. Distribue les rumeurs. Fête les fumisteries.
Tout ce qui a été construit en matière de logements sociaux dans cette dernière décennie est positif. Voire éblouissant. Une capitale sans bidonville est un rêve édénique ! Moi aussi, en simple citoyen, je rêve de me réveiller par un matin et ne rien trouver de bidonvilles autour de la capitale. Alger la blanche !
Je ne suis pas pessimiste. Et je suis fier et content que l’État algérien ait construit et continue à construire des logements sociaux pour les nécessiteux, et même pour la classe moyenne dégringolée en couche défavorisée. La décennie du terrorisme a bouleversé la société algérienne. Une destruction massive ou presque a touché à la vie : homme, arbre et mur. Mais en écrivain visionnaire, en méditant sur toutes ces constructions, ces immeubles qui poussent en sauvagerie tous les matins, je ressens la catastrophe qui ne tardera pas à frapper très prochainement à notre porte. Dans nos villes.
Dans nos familles. Chez nos voisins. Dans ces gourbis en béton qui poussent comme des champignons de forêt, les familles s’installent en bonheur, et c’est tant mieux. Les hommes, cigarettes au bec et les femmes les youyous sur les langues… et c’est beau. La télévision est toujours présente ! Et c’est beau, c’est humain de sentir le bonheur dans les yeux des petites gens ! Je ne suis pas pessimiste, mais j’ai peur que ce bonheur se métamorphose, si rien ne se fait, en drame national.
En regardant ces nouvelles villes qui poussent partout, et tant mieux, ceinturant les anciennes villes, Alger, Oran, Tiaret, Sétif, Constantine, Annaba, Béchar, Biskra, Tizi Ouzou… j’ai peur ! Socialement c’est juste. Esthétiquement c’est moche. Philosophiquement c’est dangereux !
Il faut le dire à voix haute et en temps réel : tant qu’il n’y a pas d’espaces culturels, pas de petites salles de cinéma, pas de théâtres de poche, pas de bibliothèques ou médiathèques, pas de clubs pour les avocats, les médecins, les écrivains, les plasticiens… tout ce qui a été construit ne peut ni créer ni favoriser la notion du « vivre-ensemble ». Ainsi, à mes yeux, toutes ces constructions, avec tout le respect à la bonne volonté de construire, se transformeront dans une dizaine d’années en des gourbis, c’est-à-dire des bidonvilles modernes. Et ils seront, peut-être, plus dangereux que les anciens bidonvilles, menaçant une ou deux générations.
En l’absence d’une stratégie culturelle réfléchie et courageuse, nous passons d’une vie de bidonville classique dont les gourbis étaient faits en tôle et en roseaux au bidonville moderne dont les gourbis sont faits en béton et en parpaings !
Identiques !
Seule la culture par sa diversité artistique et linguistique est garante et capable de sauvegarder les nouvelles constructions loin de toutes les dérives, les protéger comme espaces de citoyenneté, de partage humain et du vivre-ensemble.
Même la religion telle que pratiquée aujourd’hui, religion idéologique, politisée, non-culturelle, anti-civilisation n’arrivera jamais à créer « le vivre-ensemble » dans les nouveaux quartiers. N’arrivera jamais à sauver ces constructions de la catastrophe sociale et civilisationnelle. Au contraire cette pratique religieuse pousse la société vers la violence et l’intolérance. Seule la culture par l’optimisme, par sa diversité et dans sa pluralité peut répondre à cette faille, peut faire reculer la peur et le désastre dans les nouveaux gourbis. Sans la culture, la bonne culture, ces quartiers ne seront que l’espace d’une montée galopante dans le taux de natalité en Algérie ! Sans la culture, la bonne culture, ces constructions seront dans une dizaine d’années le nid, par excellence, de la délinquance, la drogue et la criminalité, ainsi le pays paiera une autre grande et malheureuse facture.
Amin Zaoui
In "Souffles" (Liberté, Alger)
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