Photographie et croyance, Daniel Grojnowski
Photographie et Croyance, septembre 2012, 128 p. 14 €
Ecrivain(s): Daniel Grojnowski Edition: Editions de la Différence
Sourire !
On sourit, souvent quelques secondes, jusqu’à la crispation, et pourtant la photo saisira l’expression comme prise sur le vif, une vivacité que le réel lui-même ne donnait pas. La photographie est une captation du réel, d’un visible, ou du moins est-elle ce procédé qui rend visible un mouvement, une fugacité, un instant émotionnel, parfois même un sacré. Dans cet essai, Daniel Grojnowski tente, sur un mode philosophique libre toujours nourri d’exemples, d’illustrations, de références, de dévoiler l’envers ou le négatif de notre rapport à la photographie. Tentative d’autant plus réussie que la simplicité et la clarté du langage, unis à la diversité des exemples, traduisent bien l’ambition de l’auteur de transmettre sa démarche de pensée à son lecteur. L’auteur part là d’une question personnelle, et il en avertit le lecteur « je me suis souvent demandé pourquoi je croyais – pourquoi on croyait – en la vérité de l’image photographique sans parvenir à trouver une réponse qui pouvait me satisfaire ». Parce que Roland Barthes dit bien qu’on ne voit jamais la photo elle-même mais toujours ce à quoi elle réfère, Daniel Grojnowski, lui, veut révéler le révélateur photographique, regarder la photo plutôt que le sourire.
Partant d’un constat qu’on aurait souhaité voir encore plus approfondi, la photographie prise semble donc donner « une image juste ». Mais que veut dire ce « juste », est-ce donc parce qu’elle perpétue la tradition picturale ou parce qu’elle se conforme à l’idée qu’on se fait a priori du sujet qu’elle représente ? En tous les cas, elle est un témoignage vrai, une preuve incontestable, mais de quoi ? De quelle vérité ? Pourquoi croit-on en l’événement qu’elle révèle et en son instantanéité alors qu’elle nécessite quantité de procédés et de médiation pour développer l’image ? L’hypothèse de cet essai est de dire que la photographie hérite d’une tradition de l’empreinte tel que le Saint Suaire en représenta un des premiers moments. Si le Saint Suaire relève de la photographie, toute photographie s’apparenterait au Saint Suaire, portant dès lors un référent sacré, christique, et engendrant rapport de croyance.
Il paraît important de décrire pour l’auteur notre rapport quotidien de fascination à la photographie, mais d’expliquer que cette ferveur ne provient pas d’une simple fascination pour l’image mais pour son pouvoir d’avérer le réel. L’originalité de l’essai, contrairement à d’autres récits des historiens de la photographie, sera donc non pas de parler des mythes fondateurs de l’antiquité mais de l’événement fondateur du Saint Suaire dans l’histoire de la photographie, événement essentiel puisque Sainte Véronique – la femme qui essuya le visage de Jésus – devint la patronne des photographes au XIXème siècle. Le Saint Suaire est en effet la relique la plus célèbre car elle donne une représentation la plus exacte de Jésus selon des modalités objectives d’enregistrement et de développement. Le rapport à cette image, cette relique comme le rapport à l’iconographie chrétienne, a pu commander notre rapport à l’image vraie. Et dans le fond il n’y a d’image vraie que par ce qu’on y croit, union du voir et du croire dont portait témoignage l’incrédulité de Thomas. Mais si la photographie paraît d’abord la foi ou la fascination en la preuve, l’auteur nous montre rapidement qu’elle bascule vers une preuve évidente du rapport de croyance.
Au fil de ces courts chapitres, l’auteur émet beaucoup d’analyses justes, intéressantes, riches, parfois trop évocatrices pourrait-on regretter, mais le but est moins de résoudre un mystère que de le soulever. L’essai apporte aussi des éclaircissements sur l’émergence de la photographie et ses conséquences pour le langage, pour l’imaginaire littéraire et collectif, puisque la photographie opère selon lui ainsi un changement de seuil de nos représentations : elle diffuse et laïcise la vérité. Seulement, ce rapport de croyance prend sa fin annoncée par l’auteur dans l’ère du numérique où sont désolidarisés contact entre le référent et le négatif, puis entre le négatif et son épreuve, à moins que… l’important soit moins le procédé que le désir de croire en l’incarnation que propose la photographie.
Sophie Galabru
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