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Nécessité de lire la poésie contemporaine ... (2/5)

Ecrit par Matthieu Gosztola 06.12.12 dans La Une CED, Etudes, Les Dossiers

Ou de l’importance des sites Internet la faisant exister

Nécessité de lire la poésie contemporaine ... (2/5)

 

En lisant la poésie contemporaine de cette manière tout à la fois hasardeuse, libre, sauvage et précautionneuse, on la lit en l’éprouvant, en faisant en sorte qu’elle se communique à nos vies et ainsi on fait peu à peu tomber tous les a priori (d’illisibilité) la concernant, car il existe de très nombreuses formes de poésie contemporaine, lesquelles, pour beaucoup d’entre elles, ne résistent pas du tout, ou très peu, face à la compréhension que l’on peut immédiatement en avoir. Immédiatement. Et, pour les autres plus difficiles d’accès, plus audacieuses dans le travail effectué sur la langue, l’illisibilité (toute relative) ou l’inintelligibilité apparente visent à nous pousser à réinventer notre façon de lire, à envisager la langue qui s’offre à nous comme une altérité radicale nous présentant la possibilité d’y être soudain plongé comme en terre étrangère. Merveilleux présent que nous fait la poésie contemporaine qui est celui de nous faire nous sentir en terre étrangère au plus intime de notre terre quotidienne, de notre terre de tous les instants. Nous avons alors, pour reprendre la formulation deleuzienne, en lisant semblable poésie le sentiment d’être étranger au sein de notre propre langue maternelle.

Nous avons le sentiment que notre lecture frémit sur la page, se construit à tâtons, dans un ébahissement et un éblouissement, inventant l’objet de lecture puisqu’inventant son sens à mesure que celui-ci n’offre que des passages vers lui qui permettent de l’actualiser selon le souhait, conscient ou inconscient, de chaque lecteur. Alors, le regard procède à l’aveugle de telle sorte que l’objet de lecture est écrit par la lecture que l’on en a : ce sont nos efforts de déchiffrement qui en constituent le sens.

Notre regard est comme dépourvu de toutes ses assises, puisqu’il s’agit non plus de s’en servir comme véhicule des catégorisations, comme outil visant à combler un horizon d’attente mais de l’envisager comme outil à se polir lui-même, outil à se décaper lui-même afin qu’il devienne possibilité d’une primitivité de la vision actualisée. Afin qu’il nous soit possible, ou moins en partie, de vivre notre regard. Aussi, notre regard écrit l’objet de lecture et en l’écrivant réécrit le regard dans le sens d’une dénaturation de l’apprentissage qui le constitue ontologiquement en tant que regard. Notre regard écrit le texte en se détruisant en tant que regard, cherchant à atteindre une virginité du voir. C’est à un tel voyage dans l’immédiat devenu étranger aux schèmes et apparaissant ainsi comme un lointain (pourtant très proche) que nous convie la poésie contemporaine lorsque l’on en fait l’expérience assidue et patiente.

Un voyage dans l’infime et pourtant dans l’altérité des formes et de la langue vers l’infini du sens qui se dérobe inlassablement à l’entreprise de catégorisation systématique qui constitue en propre le processus de déchiffrement qu’est tout regard servant nécessairement l’intellection.

Lire autrement, comme si l’on n’avait jamais lu auparavant, cette invention est formulée en creux dans tout ouvrage voulant malmener les habitudes de lecture en retirant à la vue et à l’intellection unelisibilité évidente (et ainsi dans tout livre qui soit de poésie contemporaine), lesquelles habitudes seraient apparition meuble épousant au plus proche, au plus près, les dimensions de l’horizon d’attente afin d’entièrement le combler. Voilà pourquoi la posture où le formalisme confine bien souvent à l’inintelligibilité apparente (du moins en partie) est-elle une volonté manifeste contenue dans le poème d’offrir un art de lire constant, afin que le lecteur se tienne face à chaque recueil comme s’il réapprenait à lire, comme si c’était la première fois qu’il tenait un livre entre les mains et qu’il devait tout recommencer depuis le début, en ce qui concerne l’apprentissage d’un regard cherchant à amener une intelligibilité jusqu’à l’intellection pour qu’elle soit aussitôt prise en charge par l’imaginaire.

Néanmoins, de nombreuses écritures également contemporaines se tiennent dans une posture de grande lisibilité (que d’aucuns pourront qualifier, avec raison du reste, de simplicité) face au lecteur, sans que celui-ci doive inventer un regard qui soit le fait d’un désapprentissage (eu égard aux lectures passées) pour en savourer tout le suc, faisant alors, le plus souvent, appel à ses souvenirs et à ses impressions, lesquelles impressions s’enracinent en lui suivant la façon qu’ont ses souvenirs de s’entremêler doucement aux situations évoquées par les images poétiques et réveillées par elles (et comme réveillées par le poète afin qu’elles puissent être données très distinctement à la perception – celle du lecteur, mais d’abord celle du poète, ce dernier étant amené à revivre, par l’écriture, mais dans la direction d’un sens aigu du détail et d’un dilatement temporel sinon possiblement infini du moins démesurément agrandi, l’éblouissement ou le fracassant des riens qui sont passés, malgré ou pour cette raison, presque inaperçus dans le cours de son existence).

 

Matthieu Gosztola

 

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A propos du rédacteur

Matthieu Gosztola

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com