N'oublie pas les oiseaux..., Marguerite Clerbout
N’oublie pas les oiseaux…, illustrations Marthe Ansiaux, Ayeneux, Tétras lyre, 1992
Ecrivain(s): Marguerite ClerboutMarguerite Clerbout est une auteure singulière. Rencontrer ses textes est comme vivre une résonance de la lumière. La vivre comme on vit une rencontre qui marque, qui ne finira pas de se répercuter, comme les souvenirs font des ronds éblouis dans l’eau de nos pensées – nos pensées comme un fil tendu dans « nous ».
Un fil sur lequel se pose doucement la poésie de Marguerite Clerbout, papillon de mots, de pensées et de silences.
L’auteure porte sa poésie dans la page, dans le silence, dans la vie ; elle la pose comme un trait d’union sur une page déchirée par un enfant, déchirée d’un grand cahier pour que puisse s’y voir un soleil dessiné par lui, par ses mains, par ses rêves, avec son empressement, soleil – chauffant de ses rayons le squelette juste esquissé d’une maison – dessiné avec des crayons de couleur qui ont l’arc-en-ciel qu’ils font une fois mis ensemble, toutes les couleurs d’une vie commençante, avec toutes les courbes en elle de ce qui est infini, et se sait tel.
Comme un trait d’union ? Un trait d’union entre l’étoile et l’oiseau, qui sont une même réalité. La poésie de l’auteure dans son mystère l’indique. Un trait d’union qui est un point. Un point comme un soleil.
La poésie de Marguerite Clerbout résonne, mais résonne comme une lumière quand elle cogne les ailes des oiseaux.
L’auteure fait cheminer une voix vive qui entrelace entre elles les choses, entre eux les êtres.
Elle n’impose jamais rien par le langage mais toujours ses vers nous présentent l’ouverture possible pour que nous chahutions nos habitudes, dans le tissu du visible, mince déchirure que les vers désignent plus qu’ils ne l’accomplissent et au travers de laquelle coule comme cire la lumière.
Ses vers se présentent entre chant et aphorisme, suspendus à la tendresse de la musique et à l’intensité d’un vrai regard posé sur les choses pour les accompagner dans leur mystère, sans jamais chercher à les apprivoiser.
Sa voix s’attache au plus infime comme au plus démesuré. Elle chemine jusque dans le ciel pour y cueillir l’impalpable, à savoir les étoiles. Pour approcher l’inapprochable à savoir les oiseaux en plein vol, sans jamais les détacher de leur vol. Les approcher pour les accompagner dans le continu de leur vol. Les accompagner pour s’ouvrir au lumineux en désignant le vol en eux qui ne cesse jamais d’être ce qui est recommencé.
Et toujours, s’il s’agit d’entrevoir le mystère au sein des choses les plus habituelles, c’est pour faire que notre regard soit en accord avec la douceur du vraiment céleste, de ce divin que l’on croit être toujours en partance, toujours échappant, mais qui en réalité se tient en étreinte avec ce que l’on peut voir, à chaque instant. De ce que l’on peut vivre, à chaque instant.
« N’oublie pas les oiseaux
pour ne pas perdre
ce qu’il y a de céleste dans tes yeux »
Comment la voix peut-elle donner à percevoir l’impalpable, être proposition faite à nos habitudes pour qu’elles s’ouvrent à la lumière de ce qui jamais ne sera notre quotidien et qui pourtant transcende celui-ci et en le transcendant l’habite plus sûrement que le désordre ordonné de la danse de nos gestes de chaque jour ?
Par les silences, qui sont donnés à entendre, à vivre, à ressentir, au moyen des blancs qui font que les mots ne s’épousent pas mais tiennent en douce étreinte l’impalpable qui est la lumière de ce qui nous abrite, sans que nous le sachions, toujours si hâtifs dans nos craintes, – et perce en nous. Sans blessure. Les belles illustrations de Marthe Ansiaux accompagnent ces silences sans jamais chercher à les combler par une signifiance qui nous serait imposée.
Il faut avoir la chance de découvrir l’écriture manuscrite de l’auteure pour voir à quel point les mots se tiennent dans le blanc et le font résonner très délicatement comme une branche de roseau frapperait doucement un très ancien et très immense gong.
Si nous nous tenons au point de jonction entre le silence et la parole, là où la poésie perce, là où celle de l’auteure chemine, alors, nous vient au cœur la certitude que c’est le moment, à chaque instant, le moment précisément d’être, d’apparaître, d’être en accord avec soi et en accord avec le monde, dans la plus grande douceur possible, qui nous attrape comme les ailes d’un oiseau attrapent l’air dans son vol, pour que jamais rien ne soit forcé, pour que soi ne soit jamais outrepassé par soi.
« Apparaître
dans les bois
Pluie d’étoiles dans le recueillement des oiseaux
rejoindre les silences
les silences d’oiseaux dans les bois
Pluie d’étoiles
Apparaître »
Si dans chaque silence apparaissent des pluies d’étoiles, c’est parce que chaque instant même le plus infime est plein de promesses qui jamais ne seront vraiment forcées, entièrement abritées dans nos vies, que nous ne pouvons qu’apercevoir, toute une vie ne pouvant suffire pour que nous soyons en accord avec un seul brin de lumière.
« Matin
Le monde
léger comme une montagne dans
ses fleurs
L’oiseau passe
et tout s’éloigne »
Et en même temps, il est possible, même alors que le monde s’éloigne dans un chagrin, lorsque le regard n’est pas vraiment habité par notre lumière qui est aussi la lumière du monde, d’être là, de continuer d’apparaître, à chaque instant de nous qui est un instant du monde, jusque dans la nuit.
Il est possible d’être dans le proche, et de porter nos yeux très loin de nous pour laisser venir le lointain, comme viendrait une chose aimée, une chose dont nous ne savons rien pourtant. Une chose que nous aimons avant de pouvoir l’aimer.
Laisser venir, en nous déshabillant de nos craintes.
Etre face à ce qui nous est le plus étranger pour le laisser venir sans brusquerie jusque dans notre cœur.
« L’étang
l’étoile
Accueillir
accueillir le plus lointain, l’étoile
vivre une nuit d’une étoile »
L’une des grandes forces de l’auteure est de parvenir à faire que sans que jamais rien ne soit forcé, dans une danse immobile des mots et des silences qui est d’une infinie douceur, puisse être approché l’inapprochable lointain et puisse apparaître l’oiseau avec son vol, l’étoile avec son chant, la lumière avec son mouvement, la nuit avec sa texture.
Jamais saisies, les choses apparaissent dans leur mouvement même, dans leur singularité. Et nous emportent. Au quotidien. Comme nous emporte, comme nous porte la poésie de Marguerite Clerbout.
Matthieu Gosztola
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