Michel Bouquet raconte Molière, Michel Bouquet
Michel Bouquet raconte Molière, septembre 2017, 180 pages, 16 €
Ecrivain(s): Michel Bouquet Edition: Philippe Rey
La discrétion éblouissante de Michel Bouquet ne pouvait que croiser le génie de Molière. Le grand comédien joue ici le théâtre de l’écriture. Et l’écriture s’amuse à plagier le théâtre. C’est une pièce en 1 acte. Elle célèbre les étapes de la vie de Molière en progressant au gré de l’œuvre. Des intermèdes scandent en creux le déroulé en spirales. Ces sont les témoignages que le comédien confie au lecteur : sa vocation, le Tartuffe, Dom Juan, Le Misanthrope, L’Avare, Le Malade imaginaire. Une sorte de système dynamique de poupées russes en 3 ou 4 D.
Trop modeste, Michel Bouquet raconte. Et la simplicité de l’amour irrigue chaque phrase. Simplicité chère à Molière. « Contrairement à la vision cosmique et universelle d’un Shakespeare, Molière part de la vie des gens, et atteint la grandeur par en dessous ». Ajoutons sans risque : grandeur absolue de Molière. « Molière a ceci de particulier : on est toujours en retard sur lui, notre quête est infinie ».
Michel Bouquet présente sa narration comme un tableau d’Arcimboldo. L’hétérogène est galactique, intersidéral. Et le comédien parvient avec ses murmures, ses doutes, ses failles, à exprimer le sens profond de l’œuvre : « Nous sommes sur terre et, franchement, nous n’y comprenons pas grand-chose… Mais Molière nous entraîne plus loin… ». Oui, il faut – et c’est un aveu de respect et d’amour – avoir joué Molière toute une vie, l’avoir côtoyé de l’intérieur, pour mesurer la hauteur du dramaturge et notre petitesse. Qui que l’on soit, tout contact avec une pièce de Molière fait tilt. Son génie est de toucher. Et Michel Bouquet ne nous dit que cela. Ce qui est bien, justement, l’essentiel : toucher.
Toucher sans tirer sur les cordes sensibles. Toucher en jouant. Là est le comique, le rire, rire de toutes formes et de toutes sortes, comme la cassette d’Harpagon, de toutes les couleurs il nous en fait voir, il nous fait sentir, ressentir et puis, penser. Seulement à la fin la pensée. Jamais au début. Pas de présupposés. Des situations de tous les jours avec des gens de tous les jours. Les grandes figures (l’Hypocrite, l’Avare, le Dévot…) ne sont pas de grandes idées ou, pire, des gros concepts. C’est l’avarice et la bêtise, le mensonge et la méchanceté en chacun de nous que montre Molière. Seuls les cailloux échapperont à ses rets.
Justement. L’exercice d’admiration n’exclut pas la critique. Michel Bouquet « pense que Molière n’a pas réussi Dom Juan. La pièce n’est pas convaincante. On sent que le personnage ne convient pas à Molière, il ne le comprend pas, il ne sait pas le faire vivre. Au fond, Dom Juan n’est pas assez humain pour convenir à Molière… ». Cœur de pierre et festin de pierre.
D’un revers de main élégante, Michel Bouquet balaie l’hypothèse ridicule de Pierre Louÿs : Corneille prête-plumede Molière. Adieu l’ami Pierrot.
« On oublie quelque chose de très important, que j’ai découvert récemment : Molière est un provocateur né, un homme proche de l’anarchie, un bousilleurde première. Pourtant on continue en France à voir en lui l’apôtre du bon sens et de l’équilibre… ».
Merci infiniment, Monsieur Michel Bouquet, pour toutes ces confidences extimes et votre sourire éternel.
Didier Bazy
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