Les avenirs, Hafid Aggoune
Les Avenirs, Editions StoryLab (numérique), 15 mars 2013, 109 pages, 5,99 €
Ecrivain(s): Hafid Aggoune
Assise sur un banc, j’ai lu « Les Avenirs », une première fois, à Beaulieu, en plein été. J’avais en face de moi, cette mer, ce bleu azur, et, en lisant, j’ai imaginé ce pays qu’il y avait de l’autre côté. J’ai aimé ce chant de l’âme, celui de « Pierre Argan », qui m’a profondément touchée. Avais-je rêvé ? J’ai senti le vent de son histoire, puis, en refermant le livre, son souvenir a disparu, et il s’est effacé de ma mémoire.
Valérie Debieux
1942. Margot et Pierre sont heureux. Le destin les sépare de façon tragique : « le train des bêtes humaines » emporte la jeune artiste peintre juive. Il ne la reverra plus. Pierre, sous le choc, est interné. Seule « la main du peintre » l’intéresse pendant des années et il lui faudra plus de soixante ans pour revenir à la vie, à l’écriture, à la parole, au moment où la « faucheuse » se sera emparée de « cette main du peintre ». Pierre se mettra aussitôt à écrire son enfance, son tracé de vie, et surtout, son premier amour, Margot…
« Je m’appelle Pierre Argan. Je vais avoir quatre-vingts ans, mais j’ai aussi dix-sept ans, treize ans ou deux ans. Je suis de retour à Paris, mais d’une certaine manière, je suis à Luz, sur le banc, devant la main du peintre, la mer dans le dos, le regard prêt à bondir vers la voie ferrée, au cas où le train de Margot surgirait. Je suis en Algérie, enfant, loin de ma mère, loin de ma langue, loin de ma vie. […] La belle Algérie, ce sont des heures, du lever au coucher, passées dans une liberté terrible. Ce sont des maisons en terre, une nature généreuse et des chemins sans fin, larges pour un seul homme, routes hasardeuses que je vois aujourd’hui comme autant de phrases vivantes écrites sur la terre. […] La vue s’est ouverte brutalement, large, sans limite. Elle était là quelque part, au fond, forte, régulière. Elle respirait. Le murmure lointain de toutes ces années s’est changé en grondement. Elle m’appelait. Je l’avais vue de là-haut, du banc, de dix-sept ans à soixante-seize ans, sans jamais envisager ce moment. Je ne pensais qu’à notre évidente proximité. Elle commençait là et ne finissait plus. Elle finissait là et renaissait ailleurs. Je ne savais pas où la regarder. J’ai avancé dans le noir. J’ai pensé à l’Algérie. Un jour, j’avais été un enfant de deux ans, debout de l’autre côté à regarder la mer. […] J’étais heureux. Oui, je ressentais la joie de vivre, car elle était là, couchée sur son lit nocturne. Son ombre géante me frôlait. Déjà, sur le banc, le vent avait colporté sa berceuse lointaine. Une vie entière, j’avais rêvé de me trouver à la frontière des mondes, devant elle, ma délivrance, la mer du milieu, le centre du monde, l’origine des temps. […] J’étais devenu un esprit pur. Mon corps a disparu quand le monde et l’amour ont disparu. Le monde et l’amour ont disparu quand mon corps a disparu. J’étais tombée amoureux d’une simple main aussi profondément qu’on peut l’être et elle s’est lentement imprimée dans ma pensée, creusant dans le corps et dans le cœur tout aussi profondément, jusqu’aux os, traversant la moelle, modifiant à jamais tout mon être, remplissant le vide laissé par la perte du désir de vivre et remplaçant l’humanité entière ».
Hafid Aggoune écrit comme un peintre crée sa toile et les couleurs de sa plume résonnent avec douceur, pureté, élégance, finesse et poésie. L’écriture, l’importance de la langue, la peinture, la musique, la nature, l’eau, le sable, la mer et les montagnes sont omniprésentes tout au long de ce récit. Ce premier roman sonde les coulisses de l’existence, de l’âme, du monde et de l’humanité, préoccupations qui s’inscrivent dans l’air du temps de la littérature d’aujourd’hui. Bouleversant et virtuose.
Valérie Debieux
site officiel de Hafid Aggoune : www.hafidaggoune.com
storylab : http://www.storylab.fr/Collections/Novella/Les-Avenirs
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