Le miel de la sieste, Amin Zaoui
Le miel de la sieste, octobre 2014, 197 pages
Ecrivain(s): Amin Zaoui Edition: Barzakh (Alger)
Gamin de l’Algérie d’après l’Indépendance, qui a mûri dans l’Algérie actuelle, avec des crochets ailleurs, comme il se doit pour tout Algérien, celui qui dit « je » se raconte, ou se berce par quelques mots qui reviennent, comme un refrain : « mais pourquoi est-ce que je reviens dans ce village des mouches bleues ? pourquoi est-ce qu’on serre celui qu’on aime contre sa poitrine ? ; mais pourquoi racontai-je tout cela à Ghita ? ». Sans oublier ce pile, je mens, face, je raconte la vérité, donc, face, qui émaille les pages. Ne pas omettre, par ailleurs, l’essentiel : on le nomme, le petit, « Bouqlaoui », l’enfant aux testicules, parce qu’il se les tripote tous les jours qu’Allah fait, et il a du mal avec les miroirs ; il a de grandes oreilles, et on l’appelle aussi l’âne. Il grandit, le môme, mais c’est difficile : il y a le père, l’oncle « écoute, petit morveux… », l’école militaire, le quotidien algérien qui bringuebale. Le sillon se fait chaotique, quand ce n’est douloureux : l’identité, la place dans la famille, les filles, les femmes, l’amour. Et puis, les rêves et quelques cauchemars en HP. Le ciel – celui, unique d’Algérie ; odeurs et saveurs en sus, et celui de par chez nous – Europe-miroirs aux alouettes, et gris labellisé avec accent belge…
Bon, direz-vous, un joli livre sur le natif, l’émigré, dont on attend, presque sûr, la chute : déception, départ, malaise ; un livre sur l’entre-deux mondes ? Peut-être aussi, mais pas vraiment ! Et surtout, pas seulement. Zaoui présente dans ce petit opus – il n’en est pas à son coup d’essai – un jeu, un « tout de livre », un récit à surprises, qu’on lira par le bout qu’on veut, et, si possible, en plusieurs entrées.
L’entrée du conte, par exemple – qu’on imagine, cela a été dit, raconté dans un Mille et une nuits moderne, pas forcément pour enfants… – émouvant, coloré, avec juste ce qu’il faut d’inquiétude pour faciliter le transfert : « A l’heure torride de la sieste, le village Bab-El-Kamar est désert. Vide. Silencieux… quelques silhouettes accablées déambulent à l’ombre des vieilles constructions, se traînant le long des murs à la peinture blanche effritée. Les murs, eux aussi portent les stigmates de la fatigue ! A l’image des hommes, les pierres vieillissent et pleurent ». Joli voyage qu’on peut faire, si l’on est pas trop attentif – ou uniquement perméable à l’indubitable poésie du livre. Sinon, on bascule, en même temps – face A, face B – dans un autre livre ; plus sombre, plus réel. L’entrée par un documentaire littéraire, d’une précision chirurgicale : l’internat militaire, à l’abri de vieux murs coloniaux – on peut frémir – les magouilles stratégiques pour usurper l’identité d’un enfant de la famille, mort, et ne pas se priver des ressources allocatives – on peut sourire – l’HP, où disparaît Malika la trop sensible cousine – on peut pleurer. Enfin, la sexualité – un précis plus savant qu’il n’en a l’air : l’enfance, la genèse, non d’un chef, mais peut-être d’un homme, qui peine, découvre, échoue et surnage. Pages à la fois effarantes et émouvantes des expériences, qui cousent la vie du héros ; celle de la « boule à zéro pour ce chiot » chez le coiffeur pédophile ; celle – inénarrable – de l’aventure avec Madame l’ambassadrice de la RDA, ses rides, son foulard… et puis, livre/littérature ! C’est un maître, Amin Zaoui, qui tient la plume ! encore une superbe entrée fine et documentée… ce qui se lit et s’est écrit en Algérie ; les plus grands, et, à moitié étonnant, la référence aux livres de Philip Roth, pas dépaysés, ici, dans cette quête d’identité et ces essais aux chances diverses d’insertion, dans un pays, dans une vie, dans la sienne au moins…
Ainsi « je m’appelle Anzar, mais dans mon village on me surnomme Bouqlaoui » nous happe page après page, nous faisant passer – manège ou doux délire – par moult sentiments : on le plaint, on le moque, on le conteste ; on l’aime, sans doute !
Mais, lecture avançant, on est pris d’un doute, de plus en plus audible : et, si, derrière cet homme aux couilles différentes – l’une, plus grosse, l’autre, efflanquée – Zaoui nous ouvrait encore une entrée dans son livre ; féroce, cette fois-ci, mâtinée de tendresse et presque d’indulgence : comme une allégorie de son pays. Bouqlaoui-l’Algérie ? A n’en pas douter, cette porte-là se laisse entrevoir ; on y glisse même l’œil avec l’appétence qu’il faut…
Martine L Petauton
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