Le ciel par-dessus le toit, Nathacha Appanah (par Emmanuelle Caminade)
Le ciel par-dessus le toit, août 2019, 125 pages, 14 €
Ecrivain(s): Nathacha Appanah Edition: Gallimard
On attendait avec impatience le dernier roman de Nathacha Appanah qui, avec Tropique de la violence en 2016, avait obtenu un grand succès critique et public, remportant de très nombreux prix littéraires. Un livre d’une grande puissance poétique qui bouleversait notre vision exotique idyllique de l’île de Mayotte en dénonçant le scandale oublié de ses bidonvilles surpeuplés et de ses enfants abandonnés à leur destin de misère exempt de promesses.
Si l’auteure traque toujours les faux-semblants en allant creuser derrière les apparences trompeuses et s’attache encore aux enfances saccagées, elle délaisse cette fois la noirceur de l’actualité tout comme le genre romanesque à proprement parler. Le ciel par-dessus le toit – dont le titre renvoie à un célèbre poème de Verlaine sans cesse repris en leitmotiv – se présente en effet d’emblée, et s’affirme tout du long, comme un petit conte de fées qui, lui, finit bien. Un conte où l’auteure, nous demandant sans cesse d’imaginer, adopte une langue poétique lumineuse étonnamment simple et concrète, douce et paisible, et même parfois délibérément enfantine – tant dans certaines de ses formulations que dans ses malicieux échos rimés – pour transcender la dureté de la vie.
« Il était une fois un pays qui avait construit des prisons pour enfants parce qu’il n’avait pas trouvé mieux que l’empêchement, l’éloignement, la privation, la restriction, l’enfermement et un tas de choses qui n’existent qu’entre des murs pour essayer de faire de ces enfants-là des adultes honnêtes, c’est à dire des gens qui filent droit » (p.11).
Loup, dix-sept ans, est un garçon doux et étrange submergé de pensées, d’émotions et de questions. Un enfant innocent en manque d’amour, vivant dans un entre-deux où le réel et la fiction se mêlent dans une sorte de rêve, un poète au « regard fonctionnant comme une échographie » qui fait « rimer des mots dans sa tête ». Après avoir traversé le pays pour rejoindre seulement sa grande sœur qu’il n’a pas vue depuis dix ans, il a causé un accident en roulant sans permis à contre-sens du périphérique et il a été incarcéré à la prison de la ville de C.
Cet événement sera l’occasion de réunir cette famille à la dérive, de rapprocher, dans un similaire sentiment de culpabilité, Phénix, magnifique et inflexible femme au corps tatoué d’un dragon dont le visage « ne dévoile rien de ce qui travaille le cœur », et sa fille Paloma qui quitta pour toujours le taudis où elle élevait seule ses deux enfants. Paloma qui, depuis qu’elle a abandonné son frère, vit « bien au chaud à l’abri » alors que « les gens de son âge sont dehors ».
Malgré les apparences et les masques de façade, « derrière la porte, le plancher craque », « la vérité est autre ». Et pour la connaître il faut remonter le temps car « avant Phénix Paloma et Loup, il y avait Eliette et c’est par elle que tout a commencé »… Aussi le narrateur plonge-t-il dans la mémoire des trois protagonistes, dans « des souvenirs accolés les uns aux autres » sans chronologie rigoureuse. Et il suit ces trois héros solitaires au cœur brisé qui tenteront d’aller « au-delà d’eux-mêmes » et de « s’extirper sans aide de leur prison intérieure », de trouver une place en accord avec le monde.
Le ciel par dessus le toit s’avère ainsi avant tout une histoire d’enfermement et de mensonge. A l’image de ce portail, vestige de la prison parisienne de la Petite Roquette et de sa triste maison de correction s’ouvrant désormais sur un square où l’on vient en famille « admirer le ciel ouvert, si bleu, si calme », ou de la grande porte de la maison d’arrêt de Caen où l’on conduit Loup, et qui lui « rappelle ce dôme bleu et ces surfaces blanches sur l’affiche “Partez dans les Cyclades” de la vitrine de l’agence de voyage».
Et comme tout conte pour enfant, cette histoire se doit d’avoir une fin heureuse. Au travers de cette famille s’ouvrant à la tendresse, elle montre ainsi qu’il faut croire en la résilience et la rédemption, qu’il y a toujours « un autre possible ». « Qui a dit que les choses sont écrites d’avance ? ».
C’est une histoire qui réconcilie avec le monde, « cet endroit ouvert sur la mer, le ciel et la terre » et exalte la liberté. Qui redonne à la vie imparfaite et intranquille une légèreté apaisée en mêlant « la joie et la mort, les pardons et les belles choses qu’on se dit à l’aube ». Un petit conte qui, par contraste avec tous ces mondes prisonniers, redonne saveur et odeur à cette vie : « Vraiment, le dehors ça a une sacrée odeur ».
Emmanuelle Caminade
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