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J’accuse Apulée, saint Augustin, Ibn Khaldoun et les autres ! (par Amin Zaoui)

Ecrit par Amin Zaoui le 15.06.20 dans La Une CED, Les Chroniques

J’accuse Apulée, saint Augustin, Ibn Khaldoun et les autres ! (par Amin Zaoui)


Ils sont des écrivains de renommée, des maîtres de la plume et de la pensée, mais ils ont vécu dans la trahison historique. Dans la trahison de leur mère ! D’autres écrivains sont peu connus, méconnus ou inconnus, mais ils sont les maîtres de ces maîtres ! Quand l’élève donne la leçon à son maître.

J’accuse Apulée de Madaure le Berbère (125-170), fils de M’daourouch. Écrivain, philosophe et orateur de premier rang, certes. Bien qu’il soit considéré comme le père et le créateur du genre littéraire appelé « le roman », avec son livre exceptionnel, L’Âne d’or, je l’accuse. Lucius, personnage principal de L’Âne d’or, bien décrit, métamorphosé en âne, m’a toujours intrigué, m’a fasciné, mais j’accuse Apulée. J’accuse saint Augustin (354-430), Augustin d’Hippone ou d’Annaba, fils de Thagaste ou de Souk Ahras. Qu’importe les appellations des cités, il est le fils de Tamazgha, l’Afrique du Nord. J’accuse saint Augustin l’écrivain que j’aime beaucoup !

J’accuse saint Augustin, auteur de Confessions et de La Cité de Dieu, que je relis avec grand plaisir intellectuel, de temps à autre. J’ai beaucoup d’estime pour ses réflexions philosophiques et pour sa satire littéraire et, tout cela, en même temps, m’agace, et j’accuse. Avec son livre Confessions, le fils de Thagaste ou Souk Ahras est considéré comme le père de l’art de l’autobiographie. J’aime saint Augustin, fils d’Aghaste Souk Ahras, jusqu’à la haine ! Et je l’accuse.

J’accuse Ibn Khaldoun (1332-1406), l’érudit, le génie historien, le génie et le littérateur fin. L’écrivain nord-africain le plus intelligent, certes, ou peut-être, mais je l’accuse. Bien qu’il soit considéré dans l’histoire de la pensée universelle comme le doyen de la sociologie et de l’urbanisme, avec son livre Al Muqaddima, dont l’écriture a été entamée dans les grottes de Taghazout, à quelques kilomètres de Frenda, wilaya de Tiaret, je l’accuse. Ibn Khaldoun est une école et une extraordinaire bibliothèque, certes, mais je l’accuse. Même si Al-Bakri (1014-1094), l’écrivain voyageur sans voyages, nous a émerveillés par les péripéties de son livre Kitab al masalik wa al mamalik, je l’accuse. Bien qu’il nous ait légué une description bien illustrée sur l’Afrique du Nord, des lieux et des noms, il demeure un accusé de l’Histoire. Il reste au banc des accusés !

Si Ibn Battuta (1304-1368), fils de Tanger, est l’un des meilleurs explorateurs et voyageurs berbères qui a parcouru le monde de Tanger jusqu’à la Bulgarie au nord, jusqu’au pays du Soleil levant à l’est, jusqu’à Tombouctou au sud. Certes, il y a beaucoup de contradictions et de reprises-plagiats textuelles dans ses écrits, mais son livre Tuhfat an-nudhar fi gharab al amsar wa ajaib al asfar (chef-d’œuvre pour ceux qui contemplent les splendeurs des cités et les merveilles des voyages) restera un texte fantastique par ses vérités, par ses imaginations créatrices et par ses mensonges. Et je l’accuse.

Pourquoi est-ce que j’accuse Apulée de Madaure, saint Augustin de Thagaste et d’autres ? Je les accuse parce qu’ils ont préféré écrire leur chef-d’œuvre dans le latin ou le romain latin au lieu de leur langue maternelle, le tamazight. Pourquoi est-ce que j’accuse Ibn Khaldoun, Ibn Ruchd, Al Bakri et Ibn Battuta et d’autres ? Ces enfants de l’Afrique du Nord, les enfants de la Berbérie ou Tamazgha, ont préféré utiliser la langue arabe au détriment de leur langue maternelle le tamazight. Bien qu’ils nous aient légué des merveilles, j’accuse ces génies écrivains, littérateurs, philosophes, historiens et voyageurs parce qu’ils demeurent le début du mal. Si ces génies avaient sauvegardé la langue de leur mère en l’utilisant dans leurs écrits, les générations d’aujourd’hui ne vivraient pas ce malaise identitaire.

Si les Berbères qui avaient envahi l’Espagne, ou la péninsule Ibérique, qu’importe, avaient apporté avec eux leur langue amazighe pour en faire avec elle, en elle, de la poésie, de la philosophie, de la traduction, cette langue aurait aujourd’hui une autre dimension. Si tout ce beau monde du livre, du verbe latino-romain ou arabe avait écrit ce qu’il avait écrit dans sa langue maternelle, le tamazight, ses arrière-arrière-fils ne souffriraient et ne souffriront pas de ce trouble d’identité. Cette blessure béante dans le cœur et dans la langue.

Pour cela, je veux dire à tous ces grands noms de la pensée et de la littérature, que si eux, ils ont oublié, ils ont trahi, d’autres écrivains ont refusé de faire dans la trahison. On ne crache pas sur le lait maternel. Et aux fils et filles du poète Si Mohand u-Mhand, celui qui n’a pas trahi sa langue, je dis merci d’avoir continué l’aventure littéraire dans la langue amazighe.

Je rends hommage à l’écrivain Da Abdellah Hamane (décédé à Oran en 2018), traducteur des Quatrains de Omar Khayyâm en langue amazighe. Hommage à Rachid Aliche, décédé en 2008, auteur de Faffa, à Amar Mezdad, l’écrivain kabyle le plus prolifique, auteur de Idh d Wass (La nuit et le jour), à Saïd Sadi, auteur de Askuti, à Abdenour Abdessalem, à Dihya Lwiz, à Brahim Tazaghart, à Lynda Koudache, à Selem Zenia, à Djamel Laceb, à Rachid Oulebsir, à Ahcene Mariche, et à d’autres, et ils sont nombreux, elles sont nombreuses. Merci à vous tous, vous n’avez pas trahi le lait maternel. Vous êtes la belle leçon que donne l’élève à son maître. Le petit-fils à son grand-père.


Amin Zaoui

 

Souffles. In Liberté (Alger)


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009