Fictions (anthologie) 6, par Matthieu Gosztola

Elle me regarde
Avec ses yeux de brume
Flottant sur les cheminées
*
Pendant ces quinze années
J’aurais aimé n’écrire pour vous
Qu’une comptine au goût de fleurs
*
La vie est une recherche
Permanente de l’inutile
(L’inutile est en nous)
*
Tu agonises sur le pont
(Sans me dire
Où tu as entreposé ton sourire)
*
Elle dit :
« La vie :
Une fosse commune
De plaisirs ?
Le commun emmuré
Dans le cadavre qui rêve ? »
*
La prière
(Souffle indicible)
Ce chuchotement
Face aux tapages diurne
Et nocturne
*
Sur le sourire des êtres
Brille parfois l’ombre du champ primitif
Celui aux coquelicots sauvages
*
Elle dit :
« La douceur de ma vulve
Je la distingue dans le miroir
Elle me fait trembler »
*
De mon voyage
Il me reste ce papier déchiré
Buvard de l’être
*
Quelqu’un en moi
Vous dit que ces fragments sont les siens
Parlez-leur
Conversez avec les sensations
*
Ouvre les portes étroites
Et puis
Tu les refermeras
Les portes ne s’ouvrent pas vers l’intérieur
Elles s’ouvrent vers l’extérieur
Avec des mots
On ne m’a pas enseigné le langage
*
Aux suicidaires :
N’éteignez pas la flamme
De votre vie
Laissez-la se perdre
Dans les embrasures
*
L’enfant aux entailles
Longues
Comme des rivières
Se mouche
Devant son bourreau
(Un soldat de l’O.N.U.
Rythme la joute)
L’enfant ne répond pas
Au regard suppliant
De l’adulte
Il se mouche
*
Elle s’arrête
Tend une main
Pour prendre l’eau du chêne
Et la boire
Le mendiant cueille
Une cerise à la peau craquelée
Glisse sa main aigrie
Dans la bouche de la jeune fille
Qui refuse
Qui tourne sa figure larmoyante
Vers un cheval en train de paraître
(La cerise était délicieuse)
*
Apprends à tes enfants
La douceur des choses
Apprends-leur
À se connaître
À se reconnaître
Dans un nénuphar
*
Tu galopes à travers la forêt
Tu poursuis le soleil
Qui, à cette heure, n’irise plus
Que ta mémoire
Respectant des mœurs ancestrales
Tu touches le sein de la lumière déclinante
Pour la prendre pour épouse
*
Le reflet
D’une branche d’ormeau
Sur ta robe de mariée
(Le cerisier en fleurs
Est caché par la foule)
Dans l’église
Une vieille crache
De la poussière argentée
(Refuse
Le mariage)
*
Printemps
La mouche s’envole
Le livre se délie
*
Un oiseau
Aux ailes délavées
Et au bec
Couleur du cinabre
Se reflète
Sur la mer
Qui scintille
Dans le ciel
Aucun oiseau
Mais un bleu
Plus profond
: La couleur inconnue
Matthieu Gosztola
Ces poèmes ont été insérés, sous une forme très différente, dans Sur la musicalité du vide (2 volumes parus en 2001 et 2003). Les ouvrages sont toujours disponibles auprès des libraires, ou en passant commande directement chez l’éditeur. Consulter son catalogue ici. Le suivre là.
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