Fictions (anthologie) 4, par Matthieu Gosztola

Au réveil
Tu souriais
J’ai bondi
Hors du lit
Et je t’ai préparé
Un mot d’amour
*
Le monde
À ses paysages intimes
Qui défilent derrière la vitre
Mais la vitre est teintée
*
Ses joues ont ceci de curieux
Qu’elles sont des tombes
Remplies des caresses d’amants
Retournés dans l’avant-livre
*
J’ai abandonné ma vie à la vie
J’ai compris non sans douceur
Le tremblement de la barque
En proie au corps obscur
*
Je préfère les oiseaux
Vierges d’un jour
Qui ont tes yeux aimables
Bleuis par l’artifice et par la nature
*
Être le chien docile
Du vent
(Ne pas oublier
Qu’il est le psychiatre
De tous les monarques)
*
Vivre :
Voir
Discerner
De façon soudaine
Ou fugitive
*
J’ai pris le train pour Rome
Je prends le train pour Rome
Dans un élan
J’ai caressé les pierres
Et me suis trouvé ridicule
De splendeur
Un lézard
Quitte sa planque
Pour m’accompagner dans ma danse
En accord avec l’éphémère
Me voilà devenu frère du lézard
En partant (chacun pour son lieu secret)
Nous avons
Échangé
Le silence complice
De ceux qui se savent
Faits
De la même mousse
*
La maison de Sappho
Au pied des colonnes cannelées
Couvertes de stuc blanc
Une phrase persiste
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La preuve
Un jardinier bénévole
Décolore continûment chaque fleur
Pour qu’elle renaisse fragile
*
L’attirance
S’estompe
Jusqu’à devenir
Une obscurité
Peu à peu effacée
Par le soleil terne
De l’ennui
Chaque matin
On devrait se perdre, se rejoindre, se goûter, derechef
Avec l’incertitude
*
Alors qu’il peignait
Sa défunte femme
Lui apparut
Plus jeune qu’à l’accoutumée
Et ses yeux s’emplirent de reconnaissance
*
Oui
Se tenir debout
Malgré tout ça
Fixer la mer
Sans vaciller
Comme une victoire
*
Mélancolie dans le paysage
Le jour tire déjà
Les roches sombres à l’écart
*
Pour le marcheur
Tenant la main de sa rêverie
Les ombres sur le mur
S’inventent une rougeur
Brisent la tradition
*
Sur le chemin
Ouvrir la morte
En extraire
Une musique
Un fardeau
*
Et les pensées des plus grands penseurs
Se perdront en un chuchotis de mouche
*
Aujourd’hui
Autrement dit en cette veille de demain
Apparaît
L’une des perdrix
Au corps frêle
Qui nichent
Dans le creux des rêves
*
Terrassé par mes visions
Je suffoque
Tu es le seul poème
Que je souhaite encore écrire
*
Une paire de chaussures
Il pleut sur le tissu et sur les lacets
Avec lesquels
Enfant
J’étranglais le printemps
*
Pourquoi je supporte
Sa mauvaise humeur ?
Ses pépiements narquois ?
Je sais (on me l’a dit en rêve)
Qu’elle séquestre
Quelque part en elle
Un pedrolino sauvage
*
Le sentiment réciproque
S’ouvre sur un crime consenti
: La séparation
*
Un oiseau reconnaît la mort
Elle a deux cris de plaisir
À la place des yeux
*
L’aveugle qui ôte ses vêtements
Dès qu’un nuage
Nous laisse entrevoir la lune
S’endormira la bouche pleine
De jour
Matthieu Gosztola
Ces poèmes ont été insérés, sous une forme très différente, dans Sur la musicalité du vide (2 volumes parus en 2001 et 2003). Les ouvrages sont toujours disponibles auprès des libraires, ou en passant commande directement chez l’éditeur. Consulter son catalogue ici. Le suivre là.
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