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Enquête : les professionnels du livre face au manuscrit

Ecrit par Matthieu Gosztola 28.02.13 dans La Une CED, Entretiens, Les Dossiers

Enquête : les professionnels du livre face au manuscrit

 

Quelle est la première attitude qu'ont les professionnels du livre face à un manuscrit, qu'il émane d'un passé lointain ou qu’il demeure à flanc de rive, ayant été écrit quelques mois, quelques semaines, voire quelques jours plus tôt ? Qui, parmi ceux qui écrivent, ou s'intéressent de près aux livres, qui n'a pas été effleuré, ou habité en profondeur par cette question ?

C'est afin d'y répondre, même succintement, que nous avons réalisé une enquête. Et, afin que celle-ci soit la plus complète possible (au-delà de sa nécessaire brièveté, qui a pour but de ne pas fatiguer le lecteur), nous avons donné la parole à un poète, traducteur et professeur d'Université (venu tout droit d'Italie !), à une animatrice d'ateliers de poésie, à un directeur d'espace culturel et, bien sûr, à des éditeurs.

 

Notre question a été la suivante : « Que cherchez-vous en premier, lorsque vous ouvrez un manuscrit ? Toucher le grain d’une voix singulière qui vient vous toucher ? Être emporté dans un voyage ? Le connu ou l’arrachement à soi ? Cherchez-vous tout autre chose ? »

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Réponse de Giovanni DOTOLI, poète et traducteur, professeur à l’Université de Bari, en Italie.

 

« Un manuscrit ! C’est pour moi toujours une émotion infinie.

Au cours de ma vie de chercheur, j’ai eu l’occasion de « toucher » des manuscrits du XVIIe siècle, du XVIIIe, du XIXe et du début du XXe : textes baroques, littérature érotique, ouvrages destinés au peuple, manifestes des -ismes, correspondance de toute sorte, notes de préparation d’un ouvrage.

Toucher et feuilleter un manuscrit c’est retrouver la vie de l’auteur. Je caresse les pages, les lignes, les signes, les taches d’encre.

Et j’entre dans l’âme de l’ « écrivain ». Il est là à côté de moi, me guide, me conseille, me sourit.

Un manuscrit c’est l’annulation du temps. La plume suit le rythme de la pensée et des rêves de l’auteur et du lecteur – moi –. C’est un acte de remémorisation. Le temps se fait augustinien. Plus de passé-présent-futur, mais uniquement un présent éternel, celui de la persona, au sens latin de ce mot : âme et corps, monde de l’esprit et monde de la matière.

Je revois l’acte de l’écriture. L’écrivain cherche sa plume et sa petite bouteille d’encre noire et, le regard presque étoilé, il commence à suivre la ligne des caractères en italique.

Le premier mot enchaîne les autres. Au fur et à mesure le texte naît, un poème, un conte, une page.

J’ai la sensation que, dans chaque manuscrit, il y a le sens de ce qu’un jour a éprouvé Marcel Proust. »

 

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Réponse de Sabine PÉGLION, animatrice d’ateliers de poésie.

 

« Ouvrir un manuscrit c’est avant tout accueillir auprès de soi une voix, un être. On se trouve face à des pages investies d’une présence, qui, quelque soit le sujet, livre une part de son « être au monde, aux autres ».

Pour qu’une rencontre ait lieu, pour aller au-delà d’une simple lecture et là le grain d’une voix singulière, le voyage, l’arrachement à soi, ou le partage d’une expérience deviennent possible, il me faut  percevoir « une voix juste », sans effet, ce qui ne veut pas dire sans recherche, sans travail. Poète funambule qui construit, travaille, creuse, évide, livre, met à distance, avance entre dedans-dehors.

L’écriture poétique  dépasse l’anecdotique tout en s’ancrant dans le réel. Elle crée une autre langue, où la part de rêve et de musique existe, dans le blanc de la page, l’équilibre des mots, loin de la gratuité de prouesses linguistiques. Traduction d’une voix sensible à l’altérité, à ce que l’existence réserve de douleurs mais aussi de joies… Traduction façonnée : Fenêtre ouverte au monde et sur le monde. »

 

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Réponse de Thierry RENARD, directeur de l'espace culturel Pandora.

 

« Sans remettre en cause les qualités poétiques ou littéraires de leurs écrits, nous recherchons des textes plus incisifs et porteurs de sens, d'engagement. Nous tenons absolument à voir apparaître des œuvres qui cherchent ailleurs leur place. Des cris hirsutes, face à la nudité crue du monde. Des vers mal taillés, de frêles proses, des choses indéfinissables. Mais du coffre, du rythme et du souffle !

Surtout du souffle ! C'est ce que nous voulons.

Et le souffle n'attend pas.

Pour ma part, ce que j'aime par-dessus tout, la clarté avant la beauté ! Oui, je préfère la simplicité déconcertante aux effets de style ou de manche. Il y a, aussi, une certaine poésie narrative qui m'est familière...

Mais tout cela n'empêche ni le grain ni la texture de la voix, bien entendu. Les poésies que je préfère donnent de la voix, se font entendre à voix haute... »

 

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Réponse d'un directeur éditorial : Alain BLANC (éditions et revue Voix d'encre).

 

« Pourquoi être éditeur ? Disons pour avancer, cheminer dans un manuscrit comme dans une terra incognita, comme si j'étais le tout premier à découvrir un paysage inédit, géographique ou du monde intérieur, comme si j'étais le tout premier lecteur. Certes cela ne se produit pas chaque jour malgré l'incessante affluence des manuscrits ! Mais qui sait, la prose ou les vers du lendemain viendront peut-être m'étourdir, me secouer quelque peu. C'est bien à l'exploration d'un texte fort que je dois certaines de mes plus belles ébriétés ! Précisons aussitôt qu'un texte fort peut évidemment être la trace que dépose une voix discrète, pour ne pas dire délicate ou ténue, dont le sillage en moi sera d'autant plus durable, et certainement plus essentiel que celui d'une parole véhémente, tonitruante, tarissable. Sans commune mesure… Lecteur d'un nouveau manuscrit, je cherche une voix aux échos multiples et pérennes. Une voix également non dénuée d'étrangeté, afin d'enrichir mes perceptions… Pour finir, cette phrase éloquente de Kafka : "Il me semble d’ailleurs qu’on ne devrait lire que les livres qui vous mordent et vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un bon coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ?" »

 

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Réponse d'une directrice éditoriale : Marie-Christine MOREAU (La part des anges éditions).

 

« Lorsque j'ouvre un manuscrit, en fait, je ne cherche rien... Peut-être alors des mots posés sur les pages feront-ils naître une image, un film, un souvenir, une émotion, un désir, un intérêt ? Peut-être, peut-être pas.

Je lis le début puis en diagonale, vais à la fin du manuscrit car la chute importe. Pour les images, elles ont leur poids elles aussi. Comme les mots.

Peut-être l'ensemble me donnera-t-il envie d'en savoir plus ? De contacter l'auteur, les auteurs ? D'imaginer une nouvelle aventure ? De créer un nouveau rêve à partager ?

C'est assez rare mais ce petit miracle peut survenir... avec bonheur. »

 

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Notices biobibliographiques des intervenants ou coordonnées des maisons d'éditions.

 

Giovanni DOTOLI est professeur de Langue et Littérature françaises à l’Université de Bari, en Italie. Commandeur dans l’Ordre des Palmes Académiques, Officier de la Légion d’Honneur et Grand Prix de l’Académie française, il est l’auteur de très nombreux ouvrages, essais et études et dirige plusieurs collections et revues. Il a été Visiting professor à l’Université de Chicago et à l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, à Paris. Poète de langue française et de langue italienne, traduit en plusieurs langues, il a publié différents recueils de poèmes, tant en France qu’en Italie. Il a recueilli sa poésie en quatre volumes : Je la Vie, Fasano - Paris, Schena - Les Éditions du Cygne, 2010, 2 vol., pour sa poésie en français, et La Rosa del Punto, Fasano, Schena, 2010, 2 vol., pour sa poésie en italien. Sa poétique se résume dans la certitude d’une responsabilité de la poésie aujourd’hui, au troisième millénaire, époque de science et de mondialisation, à travers le dialogue avec la simplicité de l’origine et les forces essentielles de l’univers, en une recherche continuelle d’amour.

 

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Née en janvier 1957 à Monaco, Sabine PÉGLION vit en région parisienne, où le fil de la vie l’a menée voici près de trente et un ans. Des études de lettres à Nice et un doctorat sur l’œuvre de Philippe Jaccottet à la Sorbonne lui ont permis de concilier écriture, poésie et enseignement. Outre des recueils de poèmes, elle a publié plusieurs textes dans des revues sur papier et en ligne, telles Poésie Terrestre, Voix d’encre, Interventions à Haute voix, Encres vagabondesLes Lettres françaises, Étoiles d’encre, Ficelle, Les carnets d’Eucharis, Virgules et Pollen, Terres de femmes, Francopolis et Mouvances. Sabine Péglion a participé au Festival de Houlgate en 2012. Elle collabore régulièrement à des livres et expositions d’artistes, et des collectifs de poésie ; elle anime des ateliers de poésie.

BIBLIOGRAPHIE

POESIE

Derrière la vitre, Soligny-la-Trappe, éditions V. Rougier, 2012

Australie, notes croisées, dessins de J. Bret, Paris, livre d’auteurs, 2011

Danse, deux regards poétiques sur des croquis de danse, en collaboration avec B. Moreau et J. Bret, Paris, livre d’auteurs, 2008

Métamorphoses, Nogent, éditions Hélices Poésie, 2005

ANTHOLOGIE

Pas d’’ici, Pas d’ailleurs Anthologie de voix féminines contemporaines, Ed. Voix d’Encre 2012

 

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Thierry RENARD est né le 14 août 1963, à Lyon. Mère d’origine piémontaise, employée. Père lyonnais, ouvrier. Études secondaires au lycée Jacques Brel de Vénissieux. Ancien élève du Conservatoire d’art dramatique de Lyon. S’est fait remarquer, dès 1978, dans la région lyonnaise — en tant que comédien, poète, et animateur de revue. A longtemps partagé sa vie entre l’écriture, le théâtre, et la rue — la sienne, celle qu’il remonte ou qu’il descend sans cesse, parmi les gens de son quartier et entre les grandes usines. Il est aujourd’hui directeur artistique de l’Espace Pandora à Vénissieux, lieu de diffusion et de communication de la poésie. Chevalier des Arts et des Lettres, promotion du 1er janvier 2008. Agitateur poétique.

Publications récentes :


Va, respire d’autres lumières. La seconde vie de Rogelia Cruz, Éditions Le bruit des autres, 2008

La traversée du jour, préface de Charles Juliet, Éditions Bérénice, 2010

Un monde à l’envers, avec Ahmed Kalouaz, préface d’Yvon Le Men, Éditions Le bruit des autres, 2010


Crever la route, avec Jean-Michel Platier, dessins de Roxane Maurer, Les Cahiers de l’indocile, 2011

 

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Éditions & revue Voix d’encre

BP 83 - 26 202 Montélimar cédex

Tél. Fax : 04 75 01 93 42

ecrire@voix-dencre.net

Pour plus d'informations, se reporter au très beau site : http://www.voix-dencre.net/

 

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Marie-Christine MOREAU

La part des anges éditions

Prats

24230 Saint-Seurin-de-Prats

Tél. 05 53 24 84 39 ou 09 77 06 61 08

lapartdesangeseditions@orange.fr

http://www.lapartdesanges.net

 

vidéo LPDA :

http://www.dailymotion.com/video/x9odo6_la-part-des-anges_creation

 

Référencée chez Electre & Dilicom

Indicatif éditeur : 978-2-912882

Distributeur :

SPE 171 rue de la Convention 75015 Paris

 

Tél. 01 45 67 63 03 - Fax 01 45 67 63 04

 

comptoir.spe@gmail.com

La Part des Anges éditions reçoit le concours du Conseil régional d'Aquitaine, du Conseil général de la Gironde ainsi que d'autres institutions et partenaires privés selon les ouvrages publiés.

 

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Matthieu Gosztola


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A propos du rédacteur

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Rédacteur

Membre du comité de rédaction

 

Docteur en littérature française, Matthieu Gosztola a obtenu en 2007 le Prix des découvreurs. Une vingtaine d’ouvrages parus, parmi lesquels Débris de tuer, Rwanda, 1994 (Atelier de l’agneau), Recueil des caresses échangées entre Camille Claudel et Auguste Rodin (Éditions de l’Atlantique), Matière à respirer (Création et Recherche). Ces ouvrages sont des recueils de poèmes, des ensembles d’aphorismes, des proses, des essais. Par ailleurs, il a publié des articles et critiques dans les revues et sites Internet suivants : Acta fabula, CCP (Cahier Critique de Poésie), Europe, Histoires Littéraires, L’Étoile-Absinthe, La Cause littéraire, La Licorne, La Main millénaire, La Vie littéraire, Les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française, Poezibao, Recours au poème, remue.net, Terre à Ciel, Tutti magazine.

Pianiste de formation, photographe de l’infime, universitaire, spécialiste de la fin-de-siècle, il participe à des colloques internationaux et donne des lectures de poèmes en France et à l’étranger.

Site Internet : http://www.matthieugosztola.com