Écrire la vie, Annie Ernaux
Écrire la vie, Gallimard, collection Quarto, 2011, 1084 pages, 25 €
Ecrivain(s): Annie Ernaux Edition: Gallimard
Ce volume réunit Les armoires vides, La honte, L’événement, La femme gelée, La place, Journal du dehors, Une femme, « Je ne suis pas sortie de ma nuit », Passion simple, Se perdre, L’occupation et Les années –, et présente des photographies accompagnées d’extraits d’un journal intime inédit.
L’œuvre d’Ernaux n’appartient pas au domaine de l’autofiction, mais à celui de l’autobiographie. Encore faut-il constater qu’elle repousse sans cesse les limites assignées à ce genre.
La sociologue Isabelle Charpentier a raison d’identifier cette œuvre comme se situant « à la croisée de l’autobiographie littéraire et de ce que les sociologues nomment l’auto-(socio)analyse ».
En effet, Ernaux compose, cultivant le « je transpersonnel », une « autobiographie impersonnelle » – donnant corps, au travers du prisme d’un féminisme non grandiloquent, à des thèmes aussi généraux et pourtant universellement (et intimement) personnels, de par leurs répercussions sur chaque ipséité, que le sexuel, l’avortement ou encore la trahison sociale.
Si l’auteure parle d’elle, à chaque page, de ce qu’elle a vécu, « [s]a propre trace [lui] est indifférente », comme elle le révèle lors d’un entretien. « Ce qui est important, je crois, ajoute-t-elle, c’est que le lecteur découvre quelque chose sur lui-même. Que quelque chose se passe chez le lecteur, […] qu’il y ait de la pensée sur lui-même ou sur le monde ».
Aussi, si elle est « venue au monde pour cela, pour dire ce qui [lui] est arrivé » (« [c]’est difficile, c’est lourd, mais c’est un devoir »), ainsi qu’elle l’avance au cours d’un autre entretien, c’est « [p]our que d’autres puissent s’avouer peut-être […] : vous me donnez envie de parler de moi. C’est ça, le rôle de l’écriture, quand elle mérite de s’appeler littérature. Un rôle de purification : de catharsis ».
Si chaque lecteur peut se retrouver dans les ouvrages d’Ernaux, ce n’est pas seulement du fait de la façon toujours très précise* qu’elle a de lire l’universel contenu en chaque vie – en l’occurrence la sienne, et celle de ses proches (ainsi sa mère : « Il me semble maintenant que j’écris sur ma mère pour, à mon tour, la mettre au monde », Une femme). C’est également parce qu’elle construit ses phrases, « n’agissant pas autrement sur le monde », autour d’« un cœur », d’un « noyau dur » qui est la perte. Cœur qui bat en chacune, en chacun.
Pour approcher au mieux son œuvre, qui a déjà donné naissance à de très nombreuses exégèses (en même temps qu’elle a donné naissance à des œuvres – ainsi en est-il de celle de Philippe Vilain), on se reportera au bel essai de Michèle Bacholle-Bošković intitulé Annie Ernaux, De la perte au corps glorieux (Presses Universitaires de Rennes, collection Interférences, 2011, 180 pages, 15 €).
Matthieu Gosztola
* Pour que son style soit « objectif », et, ainsi, ne « valorise ni ne dévalorise les faits racontés », elle produit une écriture neutre (« à froid »), se tenant farouchement à l’écart de toute recherche d’effet, de toute joliesse. Se méfiant de la façon qu’a, parfois, la main d’être, traçant les mots devant elle, portée au cœur par la pensée. Jusqu’à en effleurer les contours, comme on caresse un bout de drap pour trouver le calme. « Éviter, en écrivant, de me laisser aller à l’émotion », résume-t-elle un vendredi 24 août, dans « Je ne suis pas sortie de ma nuit ».
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