Désirable, Yann Queffélec
Désirable, juin 2014, 286 pages, 18,50 €
Ecrivain(s): Yann Queffélec Edition: Le Cherche-Midi
Désirable !
Le titre, éponyme du prénom d’une des héroïnes, peut s’appliquer à la qualité intrinsèque de ce roman d’amour, de bruit, de fureur, de violence, de souffrance et de dérision.
Désirable, en effet, c’est ce que devient immédiatement le texte, pour tout lecteur inévitablement pris de l’irrépressible faim dès qu’il a lu les premières lignes de lire les suivantes, de page en page, de chapitre en chapitre, jusqu’à la fin, jusqu’à cet instant frustrant où le cours s’arrête, où naît cette autre envie, prévisible, de replonger, de reprendre à la source, à l’amont du fleuve, et de se laisser à nouveau entraîner dans les tourbillons que connaît la vie de Nidivic en l’an 2015, temps du récit.
Nidivic et son épouse Yolanda trimballent un lancinant sentiment de culpabilité depuis que leur enfant a été emporté par une vague en 2004 alors qu’ils s’envoyaient en l’air derrière la dune…
Après onze années à traîner la savate et son boulet de remords dans une existence sans but, sans futur, sans saveur, emplie de brume, uniquement sous-tendue par des pulsions sexuelles ponctuelles et par les dessins du poisson parlant Chob’s, possible réincarnation de son fils avalé par l’océan, dont un éditeur peu connu publie des albums en série, Nidivic fait une drôle de rencontre au milieu des bois.
C’est à partir de là que sa putain de long fleuve de vie tranquillement douloureux va s’emballer et traverser de tumultueux et dangereux rapides.
En 2015…
Désirable et sa sœur Noëlle, une sacrément belle paire de jumelles nymphomanes, vont saccager ses jours, et compromettre abruptement le « plan cul » qu’il est sur le point de mener à bien avec Alison, la serveuse du Cygne d’Argent… Son copain Jef, un homosexuel qui voudrait bien connaître enfin la femme après avoir perdu son amant, se met en tête de cocufier notre Nidivic avec Yolanda, qui, à la réflexion, ne dirait pas non, puisque son couple fait chambre à part depuis la mort du petit… Le promoteur Krenn, au passé louche, au présent trouble et au futur fumeux, veut lui racheter Chob’s… mettre fin aux aventures du poisson à bulles, et obtenir de Nidivic une série d’albums faisant la promotion, par le jeu du personnage d’Eolia, de son projet grandiose d’installation près du village du plus grand parc d’éoliennes du monde. Du vent…
« Une bonne bouille d’éolienne, c’est ça dont le public a besoin… Ils ont aimé la locomotive à vapeur, cette machine de crasse et de boucan, ils aimeront la bonne mère Eolia. A vous d’en faire un totem bon enfant, un menhir de grâce aux ailes profuses, jamais lasses de tourner, de faire de l’or avec du vent ».
Les événements s’enchaînent, incroyables, dans la démesure. C’est rabelaisien puissance dix. On s’éberlue. On hallucine. On suffoque. Tous les acteurs, à un moment ou à un autre, ont leur heure de délire. L’enfant mort intervient à la première personne dans la narration, y jette son grain de sel, crée ou accroît, ici ou là, la confusion. Les autres personnages s’en mêlent à leur tour, confisquent la parole, se font narrateurs, se racontent, se confessent, accusent.
Telles scènes sont tout à la fois barbares et burlesques, telles autres se vivent acerbes par les dialogues et tendres par les actes, et inversement, d’autres encore mêlent fantômes et fantasmes, rêves, cauchemars, et, peut-être bien, quand même, quelquefois, mais on en est rarement sûr, quelque réalité. Intérieurement, le lecteur peut en même temps hurler d’effroi, avoir la nausée, et se tordre de rire. Il y a des quartiers d’Orange Mécanique là-dedans… L’auteur, c’est manifeste, s’est régalé, a joué, a joui à faire de chaque personnage le tourmenteur de l’autre.
La langue de Queffélec, une des plus ragoutantes qui soient, tantôt plaisante macédoine, tantôt aigre fricassée, tantôt zambrocal pimenté, toujours mélange abruptement inattendu d’éléments soutenus, poétiques, familiers, vulgaires, chambarde le lecteur, le chamboule, le précipite dans un mouvement narratif échevelé, l’affole… et le ravit, forcément.
« J’suis en manque d’homme, ça t’arrive jamais ? Il a fallu que je tombe sur toi, laideron, tu dis quoi ?
– Je…
– C’est quoi ton problème ? C’est les filles, ton problème ? T’es puceau ? T’as jamais vu une blonde à cheveux noirs ? Il te faut un poil témoin ?
– En fait, j’attends un ami, je…
Il n’eut pas le temps de finir.
– …Moi je pense que t’as un grain, dit la fille, t’as les cheveux sales, le teint gris, t’es rasé comme une merde et j’aime pas tes yeux tombants… Fais voir ton haleine de chacal ?… T’as évacué, ce matin ? »
Proprement succulent, n’est-ce pas ?
On en reveut, on en reprend, l’œil brillant de convoitise.
Désirable !
Patryck Froissart
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