David Lynch, Twin Peaks, The Return, par Matthieu Gosztola

David Lynch, via la troisième saison de sa mythique série, dilatant et le temps* (en témoignent les si nombreuses répétitions, l’ineffable longueur de certains plans…) et l’espace (expliquer en quoi, serait déflorer l’inconnu), nous invite à vivre – grâce à cette forme d’immersion que provoquent la bande-image et la bande-son – une expérience, dans une forme de lâcher-prise, et non à être dans la position d’un spectateur recomposant patiemment, épisode après épisode, un savant puzzle.
Lynch nous invite, avec les moyens (relativement innombrables) que lui offre la série, à renoncer au désir de comprendre. À ce grand, profond désir qui nous anime, face à toute narration, serait-elle éclatée. Dévoyant, d’expérimentale manière, le précepte en germe dans Mulholland Drive (qui devait déjà être, à la base, une série) comme quoi une clé présentée comme signe, comme indice, devrait immanquablement, en ouvrant quelque chose, dénouer un mystère (alors qu’il s’agit bien plutôt de façonner le mystère).
Jusque dans l’horreur, la série est (et l’usage des synonymes est, ici, de rigueur) grotesque, bizarre, insolite, déroutante, fantasque, fantastique, drôle, abrupte, comique, farfelue, changeante, déconcertante, monstrueuse, bizarroïde, amusante, anormale, étonnante, abracadabrante, baroque, loufoque, belle, dérangée, biscornue, brindezingue, insensée, cocasse, hallucinée, curieuse, déséquilibrée, excentrique, extravagante, fêlée, fantaisiste.
Et pour celles et ceux qui souhaiteraient malgré tout tracer (comme une ligne d’appui en escalade – la ligne d’appui étant la ligne imaginaire qu’il est possible de tracer entre les deux prises ou appuis majeurs et dominants dans la posture d’un grimpeur) un sens (parmi « les mystères absurdes des forces étranges de l’existence », pour reprendre l’une des paroles de cette troisième saison), l’on peut dire ceci : dans le bureau de Gordon Cole interprété par… David Lynch himself, en évidence, une photographie de l’explosion de la première bombe atomique (le 16 juillet 1945 à White Sands, au Nouveau-Mexique), qui s’avère être le centre de l’éblouissant épisode 8 (un hapax dans le monde des séries), et un portrait de… Kafka !
Découvrant, grâce à Showtime, Twin Peaks, The Return, et relisant Kafka, l’on ne peut que constater les nombreux points de contact (les nombreux baisers) entre les deux univers, l’un et l’autre douloureusement humains, avec merveilles déroutants.
Relisant Kafka, l’on aura une préférence pour La Métamorphose, Le Procès, Le Château, À la colonie pénitentiaire, Le Verdict, Le Maître d’école de village [La Taupe géante], Le Terrier, Joséphine la cantatrice ou le peuple des souris, les Journaux (1909-1924), mais aussi les deux versions de Description d’un combat, les deux versions de Préparatifs de noce à la campagne.
Matthieu Gosztola
* Il faudrait rédiger une thèse sur les rapports entre l’écriture cinématographique de Lynch et sa pratique intensive de la méditation.
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