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Baccalauréat ! par Amin Zaoui

Ecrit par Amin Zaoui le 02.07.15 dans Chroniques régulières, La Une CED, Les Chroniques

Baccalauréat ! par Amin Zaoui

 

Jadis, le baccalauréat avait son miel pur ! Il avait sa peur douce ne ressemblant à aucune autre peur. Une peur semblable à celle de la circoncision ! Douleur en douceur annonciatrice de la virilité ! Le bac nous faisait rentrer dans la cour des grands !! Et, il avait un bonheur sans pair, une sensation unique !

La veille du bac, la nuit fut longue. Très longue, à la longueur d’une année, un peu plus ! Dans l’oreiller de laine s’installent toutes les angoisses.

Le matin, avant de prendre le chemin du centre d’examen, je me sentais hanté par la crainte d’oublier quelque chose : la règle, le deuxième stylo ! La gomme, le crayon, la pièce d’identité ou encore la convocation…

Les candidats, sans exception aucune, étaient, en ce jour-là, bien habillés. En neuf ou en propre. Bien coiffés ! En chic. Les garçons comme les filles.

C’était un jour qui ne ressemblait pas aux autres.

On ne vit pas deux fois le bac !

Ce jour de bac nous rappelait une autre épreuve scolaire fondamentale : l’examen de la sixième !

Le matin du bac, il faut prendre le trolley, le numéro 11 ou le 21, lequel des deux est le plus rapide ? Celui de six heures du matin ou celui de six heures moins le quart ? Perplexe ? Le jour de l’examen, le trolley est en retard ! Même arrivé à l’heure pile, on a l’impression qu’il a été largement en retard. La faute au chauffeur bavard ! On a peur que, en plein chemin, notre monture ne tombe en panne. Le trolley traîne les pas dans toutes les stations, beaucoup plus que d’habitude ! La tortue ! Pour la énième fois, je vérifie l’heure. Je n’ai pas confiance en cette montre que mon oncle m’a prêtée hier soir pour l’occasion. Selon l’expression de mon oncle : « Les trois aiguilles marchent, comme sur un cheveu, elle est de marque suisse ! », il me l’a répétée dix fois. Il l’a fait « manger » (remonter) en tournant avec précaution la couronne sur le côté. Cette montre est sa fierté pendant le mois du Ramadhan, tout le monde mange et jeûne selon ses tic-tac !

Le bracelet me serre le bras. Il faut arriver devant la porte du centre d’examen au moins une heure avant l’heure de vérité.

Je me suis trouvé, comme les autres élèves, dans une salle qui fait peur, derrière une table individuelle, comme dans le box du tribunal international de La Haye, face à mon nom et mon numéro d’examen écrits sur un bout de papier rouge collé à l’angle droit de la table. Le plumier posé devant moi, lui aussi me fait peur. Je le regarde, lui aussi me regarde. Et je me demande si je n’ai pas oublié mon deuxième stylo. Le stylo de secours. Et la gomme, et l’équerre, et la boîte de crayons de couleurs pour colorer les cartes géographiques, et le compas ?

La montre de mon oncle me serre le bras.

Ses aiguilles, qui marchent comme sur un cheveu, soudain se sont arrêtées. Mon ventre me serre, j’ai envie de pisser ! La montre de mon oncle ne trahit jamais, fidèle aux jours de Seigneur. Fidèle aux heures des petites créatures du Seigneur. Je la fixe. Elle redémarre.

Il est huit heures, le jour qui ne ressemble pas aux autres jours commence. Le jour de frisson et de bonheur, lui aussi avait une fin.

Le jour du résultat fut un autre jour ! Des youyous dans des maisons. Du silence dans d’autres, un silence de deuil.

Aujourd’hui, le bac a perdu le miel et l’abeille du miel. Les youyous sont inexistants ou rares.

Pour nous, le bac fut nos nouvelles ailes. Le bac fut le chemin vers l’autre. Le premier grand voyage. Avec le bac on avait le droit de quitter la famille et le village. Partir dans une grande ville ou ailleurs.

Le bac était la liberté ! L’aventure.

Même si ni Malraux, ni El-Akkad, ni Cocteau, ni Zola n’ont eu leur bac ! Le jour du bac me rappelle ma cousine Fadila Mor, la première brave lycéenne dans notre grande famille qui a décroché le baccalauréat. Une pensée de respect pour elle !

 

Amin Zaoui

In Souffles (Liberté, Alger)


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A propos du rédacteur

Amin Zaoui

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Rédacteur


Amin Zaoui est un écrivain algérien né le 25 novembre 1956 à Bab el Assa (Algérie). il écrit chaque jeudi deux articles un en arabe dans le quotidien arabophone echorouk et en français dans le quotidien francophone liberté.

 

 

 

1984-1995 : enseignant à l’université d'Oran (département des langues étrangères)

1988 : Doctorat d'État en littératures maghrébines comparées

1991-1994 : directeur général du Palais des Arts et de la Culture d’Oran

2000-2002 : enseignant à l’université d’Oran (département de la traduction)

2002-2008 : directeur général de la Bibliothèque nationale d'Algérie

2009 : membre du conseil de direction du Fonds arabe pour la culture et les arts (AFAC)

Conférencier auprès de plusieurs universités : Tunis, Jordanie, France, Grande-Bretagne.

 

Publications en français

Les romans d’Amin Zaoui ont été traduits dans une douzaine de langues : anglais, espagnol, italien, tchèque, serbe, chinois, persan, turque, arabe, suédois, grec…

 

Sommeil du mimosa suivi de Sonate des loups (roman), éditions le Serpent à plumes, Paris, 1997

Fatwa pour Schéhérazade et autres récits de la censure ordinaire (essai collectif), éditions L'Art des livres, Jean-Pierre Huguet éditeur, 1997

La Soumission (roman), édition le Serpent à Plumes, Paris, 1998 ; 2e édition Marsa, Alger. Prix Fnac Attention talent + Prix des lycéens France

La Razzia (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 1999

Histoire de lecture (essai collectif), éditions Ministère de la Culture, Paris, 1999

L’Empire de la peur (essai), éditions Jean-Pierre Huguet, 2000

Haras de femmes (roman), éditions le Serpent à Plumes, 2001

Les Gens du parfum (roman), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

La Culture du sang (essai), éditions le Serpent à Plumes, Paris, 2003

Festin de mensonges (roman), éditions Fayard, Paris, 2007

La Chambre de la vierge impure (roman), éditions Fayard, Paris, 2009

Irruption d’une chair dormante (nouvelle), éditions El Beyt, Alger, 2009

 

En arabe

 

Le Hennissement du corps (roman), éditions Al Wathba, 1985

Introduction théorique à l’histoire de la culture et des intellectuels au Maghreb, éditions OPU, 1994

Le Frisson (roman), éditions Kounouz Adabiya, Beyrouth, 1999

L'Odeur de la femelle (roman), éditions Dar Kanaân, 2002

Se réveille la soie (roman), éditions Dar-El-Gharb, Alger, 2002

Le Retour de l'intelligentsia, éditions Naya Damas, Syrie, 2007

Le Huitième Ciel (roman), éditions Madbouli, Égypte, 2008

La Voie de Satan (roman), éditions Dar Arabiyya Lil Ouloume, Beyrouth ; éditions El Ikhtilaf, Alger, 2009

L'Intellectuel maghrébin : pouvoir - femme et l’autre, éditions Radjai, Alger, 2009