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La Une CED

Le manifeste de ma langue

Ecrit par Kamel Daoud , le Jeudi, 19 Septembre 2013. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Prenez une langue et jetez la dans la rue (pour paraphraser Mao), elle deviendra vivante. Enfermez-la dans un livre et un temple, elle meurt et tue les gens autour d’elle. Prenez une langue, ajoutez lui une armée et un Pouvoir, elle devient une langue officielle. Ajoutez lui une religion ou un prophète, elle devient langue sacrée.

C’est vous dire l’essentiel : ce qui vous disent que l’algérien comme langue du pays n’existe pas, vous disent simplement que vous n’existez pas : on enlève le droit de répondre à un peuple quand on lui enlève sa langue, qu’on la ridiculise, qu’on la réduise à la marge et à l’étable et au langage des serfs. On enlève à un peuple le droit sur sa terre quand on lui impose une langue qui lui impose le silence. Si on vous dit que l’arabe est une langue supérieure, c’est qu’on vous inculque l’idée que vous êtes un être inférieur.

Aujourd’hui en Algérie deux castes parlent arabe, langue morte, aux Algériens, peuple vivant : les élites politiques et les élites religieuses. Les deux puisant dans la sacralité, l’argument de leur légitimité. Comme les prêtres et les rois des moyen-âge de l’Occident. Du coup, ceux qui s’élèvent contre eux, s’élèvent contre les martyrs et contre Dieu. Ceux qui disent que l’arabe est une langue morte, menacent la domination de la caste et ses intérêts.

Pierre Dhainaut ou le pouvoir d'interroger

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 16 Septembre 2013. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

 

 

A propos de Rudiments de lumière publié par les éditions Arfuyen, juin 2013, 11,50 €

 

Au milieu de l’été qui nous trouve, chacun, pris par la « vacance » et donc ouvert et très sensible aux événements intérieurs, je vous propose quelques notes sur le dernier recueil du poète Pierre Dhainaut, recueil de vers et de prose tour à tour fin et élégant. Cette poésie, outre la langue très délicate et claire – ce qui est bien dans la tradition française depuis Boileau –, est une forme d’adresse à l’intelligence du lecteur, à la fois par le biais de la sensibilité et par l’intellection que l’on peut prêter à la découverte de ces textes. Il en va ainsi de ces réflexions sur la nature, sur la mort, sur l’enfance et les enfants par exemple, qui n’autorisent aucune paraphrase.

52.dimanche (XXIX)

Ecrit par Didier Ayres , le Samedi, 14 Septembre 2013. , dans La Une CED, Ecriture, Ecrits suivis

 

intuition

pourquoi biffer cela plus qu’autre chose ?

personnellement, je crois que c’est une affaire de sensibilité, sentir soudain que ce mot est juste, que cette image est la bonne

en tous cas ce qui est facile à déterminer, c’est la froideur, la distance que l’on a par rapport à ce que l’on a écrit, et qui permet par exemple de comprendre un double sens non voulu, une image grotesque ou une euphonie malheureuse

c’est un rapport sensitif et intellectuel qui dirige, à mon sens, l’ensemble du phénomène de l’intuition

or la sensibilité est une affaire de goût et de culture, et l’on peut aimer le rossignol pour la noblesse de son chant, ou encore le merle pour sa nature fruste et cependant significative

Ekphrasis 8 - La neige tombe sur Cherbourg

Ecrit par Marie du Crest , le Mercredi, 11 Septembre 2013. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

Elle vient juste d’avoir quatre ans, le 19 février 1959. Les parapluies de Cherbourg de Jacques Demy sortent en salle. Elle ne connaît pas Cherbourg mais elle a aimé Guy.

– Ça commence ainsi : « un film chanté en couleurs d’origine ». Générique. Des parapluies rouges, bleus, en contre-plongée, dansent en lignes, en diagonales. Ils sont d’énormes fleurs poussées dans les pavés humides de la rue. Parfois des marins en pompons, ceux qui traverseront tout le film, des passants en ciré jaune surgissent sur l’écran. Parapluies d’une vieille comédie musicale américaine ? Le trop petit parapluie bleu pâle de l’affiche sous lequel les amoureux se blottissent, heureux. Guy et Geneviève. Les parapluies de Cherbourg, la boutique de Madame Emery, le titre du film.

Soudainement, apparaissent en ligne six maléfiques parapluies noirs, prémonitoires.

Première partie : le départ.

Ekphrasis 5 - Le grand parasol multicolore

Ecrit par Marie du Crest , le Samedi, 07 Septembre 2013. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

Le grand parasol multicolore


Le jardin en gradins est de l’autre côté de la paroi de verre. Un petit cabanon de bois bleu se dresse au centre comme sur une plage. Une jeune fille vend des boissons rafraîchissantes et des confiseries à ceux qui sont venus les voir. Nul ne peut entendre le bruit de la mer. Des tables et des sièges attendent les visiteurs. Boulevard Raspail. Paris. De loin, je les aperçois de dos ainsi que le reflet coloré de la grande ombrelle.

Couple sous un parasol. Matériaux divers, 300x 40 x 350 cm. Ils ont tous deux à peu près le même âge. Septuagénaires géants, retraités, installés sans vergogne au milieu de la grande salle d’une fondation d’art contemporain. Je ne peux pas m’approcher d’eux, leur adresser une tape amicale : Que faîtes-vous ici, en tenue de bain en plein Paris ?  Ils sont sculpture que l’on ne touche pas ; périmètre sacré délimité au sol par un trait gris épais, jalousement surveillé par un gardien jeune et sérieux. Je tourne autour d’eux sept fois. Un parasol leur sert de dais nuptial, légèrement incliné pour les protéger de l’absence du soleil imaginé par l’artiste. Jaune bleu rouge, pétales de toile et tige de métal blanchi.