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La Une CED

La fille aux tongs (2)

Ecrit par Marie du Crest , le Mardi, 10 Juillet 2012. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

Les tongs du peintre s’enrubannent. Fils d’Ariane.

 

La fille ignore de l’autre côté du triptyque, l’homme nu qui sans pied, joue au foot, en regardant le large, devant lui. Que de gens se croisent sur La Riviera, dans les salles du musée où je suis, de tableau en tableau ! J’ai envie de m’asseoir sur une large banquette de moleskine pour entrer dans la scène balnéaire. C’est bien elle, je reconnais l’étoffe rouge aux arabesques blanches. Pourquoi ne pas hanter toutes les œuvres du peintre dont j’aime le si joli nom des grands champs ? Un écran de cinéma, peut-être. Il y a tant de scènes de plage, de grève dans les films ; les amants s’y retrouvent à la nuit tombante, les héroïnes assassinées roulent dans le ressac.

La fille aux tongs (1)

Ecrit par Marie du Crest , le Dimanche, 08 Juillet 2012. , dans La Une CED, Ecriture, Création poétique

 

Les tongs du peintre s’enrubannent. Fils d’Ariane.

 

Les tableaux n’ont pas de titre. UNTITLED. La contemplation est libre. Je regarde toutes les filles du tableau. Elles aussi me regardent ; ou elles tournent le dos. Il y a la fille blonde au corps solide, aux poils pubiens blonds. Elle vient à moi dans un champ. Elle porte des tongs rouges, incongrues. La chaussure légère du trait de pinceau. Sandale antique en plastique. Seule parure, seul vêtement du corps. Son pied gauche est légèrement soulevé. Comment un peintre peut-il faire croire au mouvement sur la toile immobile ? Ces filles-là sont sculpturales, sportives. La fille aux cheveux noirs, de profil, me montre son téton gauche. Ses tongs noires, l’une abandonnée derrière son pied gauche et l’autre dessinant son pied droit. Elle avance dans le déséquilibre de son corps dans un décor végétal et minéral. Les tongs, nous les portons à la plage, les tongs que tous les gens pauvres de la planète portent.

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Portrait rouge - A propos de Roger Munier, Vision

Ecrit par Didier Ayres , le Lundi, 02 Juillet 2012. , dans La Une CED, Les Dossiers, Etudes

Vision, Roger Munier, Editions Arfuyen, 2012, 80 p. 8,50 €

 

Il n’est pas nécessaire [...] de regarder l’analyse comme un exercice en soi, long, fastidieux, détaillé, rationnel. Car l’analyse n’est pas forcément cette approche globale, cette saisie totale et absolue qu’elle se donne souvent pour but. L’analyse peut être courte, fulgurante, intuitive. Elle n’a pas besoin de porter sur l’ensemble d’une œuvre pour être déterminante. Elle peut s’accrocher immédiatement à un détail apparemment secondaire ; elle est parfois le fait d’une rencontre inspirée, surprenante.

Pierre Boulez

 

J’admire Vision, le dernier livre de Roger Munier, car son idée du vide me touche beaucoup. À cause de cette vie provinciale que je mène ici actuellement où un simple oiseau dans l’écho de la rue, ou le bruit régulier du réveil dans le silence ouaté de la maison, l’odeur de pêche mûre, signalent que quelque chose passe en soulignant que cela disparaît et fait place au vide, à l’éclipse.

Salut à André Malraux (par Léon-Marc Levy)

Ecrit par Léon-Marc Levy , le Samedi, 30 Juin 2012. , dans La Une CED, Les Chroniques

La lecture de Malraux n’est guère à la mode. Ce n’est pas à l’honneur des temps présents.

A priori on n’avait rien en commun, ni la génération, ni les choix politiques ultimes, ni le flou théorique qui semble surnager d’une vie, et d’une œuvre, uniques en leur genre. C’est-à-dire que, la reconnaissance de son lieu, il va s’agir de l’entendre en termes de salut symbolique, n’y participant pas idéologiquement. C’est de ne pas en être qu’on ne le jugera pas, mais qu’on fera signe ici, signe écrit, qu’on l’a reconnu tenir son discours dans ce lieu particulier et précieux de la jonction entre nature humaine et culture. Ce lieu qu’on nomme progrès, malgré les régressions particulières qu’il dissimule souvent, ou civilisation. Signe de reconnaissance donc à André Malraux.

Ecrivain français. 1901-1976. Bon. Mais qui Malraux ? Celui dont il se dit, avec insistance, qu’il était « engagé » ? L’engagement ça fait équivoque. C’est suspect, et à juste titre. On soupçonne « l’engagé » de ne s’engager qu’à trouver accueil à son symptôme. S’en-gager, ou se donner en gage de sa propre bonne volonté, comme signifiant destiné à se dédommager de l’angoisse de vivre, et de mourir ; et de sa culpabilité. S’engager dans la cage aux fauves ou s’enCager. Du moment que c’est avec du monde, ça fait sens, dans un quadrille universel, ou une escadrille « internationale ». Bonne conscience pas trop chère, les « affreux » en font autant, contre monnaie sonnante et trébuchante.

Décoloniser le corps, la langue et la mer

Ecrit par Kamel Daoud , le Vendredi, 29 Juin 2012. , dans La Une CED, Les Chroniques, Chroniques régulières

 

C’est peut-être face à la mer que l’on ressent le mieux cet enfermement de l’histoire algérienne dans les interdits immédiats du corps et ses libertés non retrouvées même après le départ du dernier colon en date. Une intuition trouble, encore floue, difficile à exprimer : celle d’une identité encore plus vaste que les polémiques immédiates, qui enjambe les colonisations, pas pour les nier mais pour dire qu’elles sont aussi mon histoire. Et cela vous revient d’un coup ce qu’est être algérien, face à l’unique trace vivante de notre patrimoine : la Méditerranée. Pas n’importe quelle mer, mais celle-là justement. Et c’est face à celle-là que, brusquement, on réalise que rien ne nous oblige à vivre l’histoire du pays comme simplement une histoire de violences auxquelles répondent des cycles de rejets et des saisons d’armes ou de dénis. D’un coup, on réalise que les immeubles coloniaux, la parenthèse française n’est pas quelque chose qui est venue « totalement d’ailleurs », mais que « c’est à moi aussi », dans l’ordre de mon histoire et du matrimoine. Les immeubles, les architectures, les places publiques, les églises restantes, les synagogues effacées et les noms des rues et la vigne. Elles ne sont « pas françaises », mais aussi « à moi », partie de mon histoire. La colonisation comme la décolonisation sont des actes, les miens, que j’ai subis ou assurés et que j’assume aussi.